Acquisition d’œuvres de Ricardo Cavallo par le musée de Morlaix
Si en 2016, le musée de Morlaix avait monté une exposition en ses murs, ses collections ne comptaient pas encore d’œuvres du peintre argentin. C’est désormais chose faite, et ça a du sens : Cavallo a beaucoup exercé son regard sur les architectures urbaines de Morlaix et a produit des tableaux intenses, où le travail de la lumière donne une impression d’intemporalité. S’il est tentant d’établir une comparaison avec les impressionnistes (on pense alors à la série des Cathédrale de Rouen peintes par Monet entre 1892 et 1894 : chaque toile représente l’édifice à une heure, selon une météo précises), Cavallo, qui peint aussi en plein air, superpose les couches de peinture, revient sans arrêt sur son travail, capte les couleurs de tous les moments comme s’il avait envie de tout montrer, le Morlaix du matin, de l’après-midi, de l’été, du printemps, en un seul tableau.
Son œuvre s’articule autour de petits supports en bois marouflés de toile qu’il assemble pour composer un tableau monumental, parfois lui même composé de plusieurs panneaux. C’est le cas de « Morlaix, le fleuve au milieu », un diptyque récemment acquis par le musée, avec le soutien de l’association des Amis du musée. Ce tableau, dont le sujet si familier ne peut que nous toucher, représente la ville entre le viaduc et la mairie, la multitude de petites maisons des flancs Est de la ville, ses jardins en pente si caractéristiques. La ville baigne dans une atmosphère chaleureuse, grâce à une palette de jaunes et d’ocres, de bleus et de violets, de verts ; pourtant la couleur ne permet pas vraiment de déterminer l’heure. Le ciel semble nous rappeler que le beau temps n’est jamais éternel, que les nuages sont annonciateurs de pluie.
Les dimensions généreuses du tableau invitent à l’évasion dans ce paysage de paradoxes temporels, pour chercher une maison que l’on connaît, se perdre dans les ruelles à peine ébauchées, pour laisser son esprit vagabonder.
Pour compléter ce tableau remarquable, le peintre a souhaité faire don d’un autre tableau, « L’Anse d’Ariane », un paysage de mer. Ricardo Cavallo travaille à Saint-Jean-du-Doigt et le littoral exerce sur lui une fascination inaltérable : la pluralité des formes et des couleurs de la roche et de la mer est une éternelle source d’inspiration.
Au cinéma La Salamandre, un film touchant sur la peinture de Cavallo, sur l’amitié, sur le partage
L’hommage se poursuit avec la projection d’un film d’une sensibilité à couper le souffle, réalisé par le cinéaste international Barbet Schroeder. On y suit la vie de peintre de Ricardo Cavallo, entre Saint-Jean-du-Doigt et son petit atelier de Neuilly, en visite chez ses amis collectionneurs. On suit la descente vertigineuse, matériel sur le dos, vers la grotte qu’il a entrepris de peindre sur cette côte sauvage du Trégor, on le voit travailler, organiser ses visites selon la marée, retoucher un fragment de tableau…
Il nous parle des grands maîtres qui ont fait sa joie, Le Caravage, Velasquez ou Monet, de son désir de partager son savoir, de l’école de peinture qu’il a mise en place à Saint-Jean-du-Doigt, « une évidence » selon lui.
À la projection du 8 novembre, Ricardo Cavallo et Barbet Schroeder ont fait l’honneur de leur présence et ont joué le jeu des questions-réponses avec un public passionné. Un événement vraiment exceptionnel à La Salamandre !
Article rédigé pour le Morlaix Mag – Décembre 2023
Ce fut à l’approche d’un week-end, le temps était agréable, le week-end s’annonçait clément en dépit de cette guerre qui n’était pas prête de s’arrêter. Les écoliers étudiaient, leurs parents étaient au travail ou vaquaient à leur occupations habituelles. Lorsqu’ils entendirent le bruit vrombissant des avions anglais, il était déjà trop tard. Il pleuvait des bombes. Même si les événements se sont déroulés il y a 80 ans, le drame est toujours bien présent dans l’esprit des morlaisiens.
Le drame de toute une ville
Ce 29 janvier 1943, douze bombardiers de la Royal Air Force ont pour mission de bombarder le viaduc de Morlaix, un pont ferroviaire stratégique, mais situé en plein cœur de la ville. À l’école voisine, 39 enfants et leur enseignante perdent la vie ce jour-là, sept petits corps sont toujours portés disparus une semaine après le drame. On organise les secours comme on peut : « Les petits blessés furent transportés dans le bâtiment voisin du Réseau breton, rue Armand Rousseau, ou encore au Café du Bon Coin, à l’angle de la rue Gambetta, face à la gare. Nombre de petits cadavres se retrouvèrent aussi dans un dortoir de l’école ou aux Chemins de fer économiques. ». raconte Michel Le Bars qui participe aux secours et au déblaiement de l’école.
Rentrée 1942 Les petits écoliers de Notre-Dame de Lourdes posent pour la traditionnelle photo de classe.
Le reste des blessés sont évacués au collège des jeunes filles au Château. L’hôpital général qui est réquisitionné par l’armée allemande lui est exclusivement réservée.
Pourquoi avoir visé le viaduc ?
À Brest, l’armée allemande est alors particulièrement efficace, avec ses sous-marins qui font du tort à la Flotte alliée. Les trains roulent jours et nuits pour ravitailler la base de sous-marins. Ce 29 janvier 1943, en voulant rayer le viaduc de Morlaix de la carte, l’objectif des pilotes de la Royal Air Force est de mettre un terme au succès des U-Boot. Choix est fait de bombarder le viaduc de Morlaix et celui de Trevidy (route de Paris).
Sur le versant est de la vallée, la rue Ange de Guernisac, de Ploujean, jusqu’au cimetière Saint-Charles sont sérieusement touchés : « Le 29 janvier dernier, lors du bombardement de Morlaix, mon agence fut complètement anéantie. Dans cette horrible tragédie, j’ai perdu ma femme, ma fille âgée de vingt-deux ans, mon commis, ensevelis sous les décombres de ma maison » écrit Félix Floch, assureur, à son journal professionnel. Il a tout perdu : sa famille, ses biens, son gagne-pain. Le numéro 79 de la rue Ange de Guernisac n’est plus qu’un amas de décombres.
Andrée Postic, alors jeune élève de l’école Saint-Melaine (qui n’existe plus aujourd’hui) raconte ses souvenirs dans son roman « Dédé mitrailleuse » : « On entra en classe et Mademoiselle Cuzon commença à nous donner la dictée « Promenade en forêt ». On avait à peine inscrit le titre que les sirènes mugirent, des avions passèrent très bas au-dessus de l’école, puis un bruit assourdissant s’en suivit ». Ce jour-là, elle perd sa grand-mère qui était en chemin pour le cimetière Saint-Charles, lui aussi sévèrement touché ; les bombes y font 3 morts et 4 blessés parmi ceux qui étaient à la veillée funèbre.
Dédé mitrailleuse
J’ai connu Dédé Postic il y a quelques années chez ma belle-mère. Elles vivaient dans le même quartier. Dédé était souvent invitée à passer pour les fêtes de famille, parfois, elle s’invitait pour prendre le café. Elle avait toujours des histoires extraordinaires à raconter sur Morlaix, sur sa vie à la Manu, sur son enfance. J’ai lu son livre « Dédé Mitrailleuse » il y a quelques années, c’est un ouvrage singulier, drôle et émouvant : et pourtant il traite de la période difficile de l’Occupation.
Le vendredi 29 janvier fut une merveilleuse journée ensoleillée, pure comme le sont parfois les belles journées d’hiver et le ciel était adorablement bleu.
Andrée Postic – Dédée Mitrailleuse. 1939-1945 – Pain blanc et années noires. Skol Vreizh
Les dégâts matériels
Comble du drame, le viaduc est finalement très épargné, à peine éventré. On le rafistole très rapidement. Moins de dix jours après le bombardement, une première locomotive roule de nouveau sur ses rails de fortune. Le trafic reprend normalement à peine un mois après les événements.
La ville ne souffre pas que de ses pertes humaines. Le 3 février 1943, « 20 immeubles étaient détruits ou considérés comme irréparables, 40, profondément endommagés, 90 avaient subis des dégâts qui restaient à apprécier », recensait « La Bretagne ». L’église Saint-Melaine est complètement éventrée en son bas côté gauche, la sacristie détruite, le presbytère très endommagé. Les funérailles sont célébrées dans les églises Saint-Mathieu et Saint-Martin puisqu’elles ont été épargnées. Rue Ange de Guernisac, trois maisons sont entièrement détruites, les quartiers des Ursulines, du Créou, de Pénanrue, du Calvaire, du Carmel sont également bien touchés, au cimetière Saint-Charles, de nombreuses tombes éventrées. La Place Thiers (actuelle place des Otages) n’est pas épargnée : une bombe explose entre le kiosque et les maisons côté quai de Tréguier.
Devoir de mémoire
Le dimanche 29 janvier 2024, devant la stèle de la chapelle Notre-Dame des Anges, les élus ont retrouvés les rescapés et les familles qui se souviennent, leurs enfants, leurs amis. Les petits enfants aujourd’hui scolarisés à Notre-Dame de Lourdes sont venus aussi pour déposer chacun une rose, 39 au total, une pour chaque enfant disparu ce jour-là.
Ce devoir de mémoire, il est indispensable, pour ne pas oublier ceux qui ont souffert et dont les familles sont toujours marquées aujourd’hui. Marie-Françoise raconte que sa mère avait déposé son petit frère à l’école ce jour-là « Elle a porté le poids de la culpabilité toute sa vie durant. Quand elle a mis au monde son premier garçon, elle l’a appelé Jacques, comme son petit frère, c’est dire à quel point ça été traumatisant pour elle. Mon grand-père a participé à la construction de la chapelle, ensuite, je me souviens y être allée quand elle a été inaugurée, c’était important pour nos parents qu’on soit là ce jour-là, qu’on se souvienne que nos familles avaient beaucoup souffert de ce drame, et c’est aussi pour ça que je suis là aujourd’hui. »
Le cortège s’est ensuite déplacé place des Otages, pour honorer la mémoire des civils, morts et blessés : « C’est important de soutenir ces gestes de mémoire – explique Maryvonne Moal, présidente de l’association des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation du Finistère – même si notre association travaille spécifiquement au souvenir des victimes de la déportation, les dommages des conflits doivent rassembler tous ceux qui veillent à ce que jamais on n’oublie ; c’est donc vital pour nous d’être présents aujourd’hui. »
La mémoire est un bien commun qui nous unit et joue un rôle vital dans la préservation de la paix, de la liberté, de la démocratie. C’est ce qui donne du sens à ces cérémonies.
L’article rédigé par l’agence pour la rubrique « Patrimoine » du Morlaix Mag. Numéro de février 2024. Il a été enrichi de quelques informations complémentaires.
En novembre 2020, l’agence a été choisie par le service patrimoine de la ville de Brest pour un travail conjoint avec Pauline Lavergne (Atiz, agence d’ingénierie culturelle) et Marie-Laure Pichon (Cap Culture Patrimoine) pour la réalisation d’un nouveau musée du Brest d’avant-guerre, dans la Tour Tanguy. Nous avions été sélectionnées pour nos compétences complémentaires : > Atiz : scénographie, ingénierie culturelle > Cap Culture Patrimoine : assistance à maîtrise d’ouvrage sur le volet « démarche participative » > Violaine Pierret : muséographie, rédaction des contenus et mise en forme graphique de l’ensemble des supports de médiation.
En cours de route, le volet participatif a évolué : avec l’implication des élèves de cinquième du collège Saint-Pol Roux et de Gaëlle Le Lay, professeur relais patrimoine, enseignante en histoire et géographie. La ville a soutenu le projet d’atelier de création artistique et m’a confié cette mission pédagogique et artistique.
Déroulé du projet
Deux journées d’échanges avec les habitants de Brest les 8 et 10 mai 2021.
Visite de la tour Tanguy par la classe de Gaëlle Le Lay, le 20 mai.
Atelier de réflexion des élèves autour de la future scénographie de la tour le 2 juin.
Journée de création d’un diorama le 3 juin au collège.
Les objectifs de l’atelier
Appuyer et conclure la réflexion menée par les élèves
Sensibiliser à la conservation du patrimoine par la création artistique
Enrichir la culture patrimoniale et artistique des élèves
Donner aux élèves la possibilité d’être acteurs de leur ville en laissant la trace d’une œuvre artistique collective
Rendre hommage à un artiste brestois, prendre conscience de la valeur culturelle et patrimoniale de son œuvre.
Notre mission sur cette journée
Concevoir le projet de A à Z : définition des objectifs, des outils, des inspirations artistiques et patrimoniales, du plan de travail pour la journée.
Présenter le fil conducteur, la thématique et les objectifs plastiques de l’œuvre.
Gérer le temps pour que l’œuvre soit achevée dans les temps impartis.
Définir des outils de création, les techniques pour un rendu plastique final harmonisé.
La méthode proposée par l’agence
Proposer des documents de base : des silhouettes de personnages en mouvement à peine ébauchées pour pouvoir les compléter de costumes.
Mettre à disposition des planches de costumes d’époques variées comme documents scientifiques.
Mettre à disposition des documents d’œuvres dont les qualités plastiques seront recherchées : aplats de couleur, géométrie, organisation de l’espace, composition. Nous avons choisi de présenter le travail de l’illustrateur Vincent Godeau, dont l’œuvre est largement inspirée de la ville. Nous y avons vu une analogie évidente avec les dioramas de Sévellec.
Proposer un support solide et souple à la fois (le papier plastifié) et une technique adaptée pour travailler par dessus (le Posca)
Vérifier préalablement la faisabilité du projet avec un élève du même âge et en faire la démonstration (ci-dessous).
Survol de l’œuvre dans son ensemble.
Merci aux élèves qui ont été formidables, impliqués, talentueux, courageux, et à Gaëlle Le Lay et Bruno Robert, les enseignants, qui ont encadré avec moi cette journée passionnante !
Ci-dessus, Saint-Pol de Léon, cathédrale (buffet XVIIe siècle – Robert Dallam / partie instrumentale Stolz, 1887 – III/P/35) *Note : on indique par convention les caractéristiques d’un orgue de la façon suivante (exemple) III (nombre de claviers) /P (pédalier) /40 (nombre de jeux)
Le patrimoine, ça se partage, ça se vit, ça se construit en nous. « Nous », ce sont les passionnés, ceux qui en ont fait leur métier, ceux qui le vivent chaque jour avec intensité. Aujourd’hui, je vous emmène à la découverte des orgues du Finistère, ou plutôt, c’est mon père qui vous y emmène ; il y a quelques jours, je l’ai invité à rédiger un article sur le sujet. Enthousiaste évidemment, le lendemain, j’avais dans ma boîte mail un article complet, passionnant, accompagné d’une icono riche et pertinente. Bon, évidemment, il a de la bouteille mon père, il a dirigé l’un des plus beaux établissements de conservation du patrimoine musical, pendant presque vingt ans : la Médiathèque Musicale de Paris. Depuis sa plus tendre enfance, il nourrit pour l’orgue une passion qu’il a entretenue tout au long de sa vie. Il est même connu pour ça dans son milieu professionnel, reconnu plutôt, comme l’expert en orgues.
Allez, c’est parti pour un petit tour des orgues du Finistère…
Merci papa.
Le XVIIe siècle : des facteurs d’orgue anglais en Bretagne
La dynastie des Dallam, c’est leur nom, a donné son titre de gloire à ce patrimoine exceptionnel, au terme de ce qui peut relever d’un hasard de l’histoire. Nous sommes en Angleterre en 1642, les Puritains, avec Olivier Cromwell, viennent de prendre le pouvoir et d’instaurer une République. L’orgue est interdit partout dans les églises. Facteur d’orgue renommé, mais désormais sans travail, Robert Dallam quitte son pays et débarque en 1643 à Morlaix avec son fils Thomas. De concert, ils vont construire plusieurs instruments pour les cathédrales de Quimper, Saint-Pol de Léon, les églises de Saint-Jean du Doigt et Lanvellec (Trégor).
En 1660, avec le rétablissement de la monarchie, Robert regagne l’Angleterre, mais son fils Thomas reste en Bretagne. C’est lui qui, dans le dernier tiers du XVIIe siècle, va construire une dizaine d’instruments qui donneront cette physionomie si particulière à la facture d’orgue finistérienne. Et si, de l’œuvre de son père Robert, ne subsiste (hormis les buffets conservés de Quimper et Saint-Pol) que le précieux orgue de Lanvellec (1653), plusieurs ouvrages de Thomas sont aujourd’hui parvenus jusqu’à nous ; de certains, modifiés ou reconstruits au cours des siècles, il ne reste que le buffet, au style caractéristique aisément reconnaissable, comme Sizun, Pleyben ou Rumengol, tandis que d’autres, Guimiliau (1675-80), Ploujean (1677) Ergué-Gabéric (1680) et Crozon (1687) ont aussi miraculeusement conservé une grande partie de leur matériel sonore. Soigneusement restaurés, ces instruments constituent de précieux témoins d’une époque dont bien peu d’exemples subsistent en Europe. C’est dire leur valeur patrimoniale exceptionnelle.
Thomas Dallam meurt en 1705, et avec lui se clôt un âge d’or. A contrario en effet de ce qui se passe dans le reste de la France, qui connaît alors une apogée extraordinaire de la facture d’orgue, le XVIIIe siècle n’a guère laissé de traces en Finistère, à l’exception du facteur d’origine lorraine Claude-Humbert Waltrin, auteur de plusieurs instruments, mais dont ne subsiste plus aujourd’hui que le petit orgue de Goulven (1753, restauration Caill 2012), unique témoin d’un savoir-faire pourtant reconnu en son temps (Carhaix, La Martyre, Landerneau, Morlaix Saint-Mélaine …)
Le XIXe siècle ou le triomphe des facteurs-artisans
Il faudra attendre le XIXe siècle pour assister à un renouveau de la facture d’orgue, celle-ci évolue, et les perfectionnements vont bon train sous l’influence du génial Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899) qui créée un nouveau type d’orgue, moins polyphonique, plus expressif, plus puissant aussi, et offrant à l’organiste la possibilité de réaliser des crescendos au moyen de la boîte expressive. Parti de France, le mouvement touche toute l’Europe, et la Bretagne n’échappe pas à ce désir de modernité. Mais ici, en Basse-Bretagne, comme à l’époque des Dallam, la facture d’orgue connaît une évolution singulière. Rares sont en effet les interventions des grands facteurs demandés partout en France (Cavaillé-Coll n’est présent qu’à Quimper en début de carrière (1848), et les chantiers de construction d’orgues sont confiés à de petites entreprises artisanales qui vont acquérir une grande réputation locale. Deux noms vont ainsi s’imposer en Finistère grâce à la qualité de leurs travaux. Le premier, Jean Baptiste Claus (1822-1890) d’origine belge, a travaillé chez Merklin, le grand rival de Cavaillé-Coll, et s’est installé à Rennes en 1863. Surtout actif en Ille-et-Vilaine, il signe, à partir de 1880, quelques beaux instruments en Finistère, à Landivisiau (1885) et Plouescat (1886-87), aujourd’hui préservés. Le second, Jules Heyer est un facteur né en Silésie venu en France se perfectionner chez Cavaillé-Coll. Installé à Quimper en 1848 (il participe à la reconstruction de l’orgue de la cathédrale), on lui doit de nombreux instruments (28 au total), que ce soit des reconstructions d’orgues anciens mis au goût du jour (Saint-Thégonnec, dans un superbe buffet XVIIe, 1863) ou de nouvelles constructions (Lannilis (1850), Plouzévedé, Quimper (Locmaria), Morlaix …). En comparaison, on ne peut mette à l’actif des grands facteurs français que les orgues de Saint-Houardon à Landerneau (Merklin, 1866) et de la cathédrale de St-Pol de Léon (Stolz, 1887, dans l’extraordinaire buffet en trompe-l’œil de Dallam), qui comptent il est vrai parmi les joyaux du patrimoine organistique finistérien.
Le XXe siècle : de l’utopie d’orgue à tout jouer à la redécouverte de la facture ancienne
Le vingtième siècle n’est pas en reste. On peut distinguer une première période, et cette fois-ci, en Finistère, on suit le mouvement, qui voit, des années trente aux années soixante-dix, le triomphe de l’orgue dit « néo-classique » dont l’ambition est de proposer un instrument propre à interpréter toute la littérature pour l’instrument, de la Renaissance au XXe siècle. Mais, même si elle été la source d’inspiration de grands organistes compositeurs (Olivier Messiaen, Maurice Duruflé, Jean Langlais), c’est une esthétique aujourd’hui plutôt décriée, la fusion entre orgue classique et orgue romantique s’avérant bien difficile, sinon impossible à réaliser.
D’une production pléthorique, et parfois de qualité moyenne (harmonisation peu raffinée, emploi de matériaux non nobles, généralisation de la traction électrique), subsistent malgré tout quelques remarquables instruments, réalisés par de grandes maisons, comme les nantais Beuchet-Debierre et Bouvet-Renaud, qui vont s’imposer en Bretagne comme dans l’ensemble de l’Hexagone. On retiendra du premier, l’orgue de l’abbaye bénédictine de Landévennec (1968) et le très bel instrument du Sacré-Cœur de Douarnenez (1953-54) qui attend, hélas, une restauration pour l’instant différée, et du second l’orgue de Saint-Louis de Brest, qui a fait l’objet d’une reconstruction soignée en 1978.
La seconde période, de la fin des années soixante-dix à aujourd’hui, marquée par une remise en question de l’orgue néo-classique, vise à retrouver les techniques ancestrales de la facture d’orgue (usage de matériaux nobles, traction mécanique, harmonisation typée), en s’inspirant (sans en faire un pastiche) de modèles d’orgues baroques des XVII et XVIIIe siècles. français ou européens. Ce mouvement de renouveau, qui a essaimé un peu partout, s’est imposé aussi en Bretagne. Pour le Finistère, nous citerons les orgues neufs de Locronan (Benoist et Sarélot, 1983), de Fouesnant (Saby, 2000), du Folgoët, de style franco-flamand classique (par le nantais Bernard Hurvy, 2009), de Loctudy librement inspiré de la facture nord-allemande du XVIIe siècle (Nonnet, 2014), et de Locquénolé, petit instrument baroque d’inspiration napolitaine (Hervé Caill, 2019). Nous n’aurons garde d’oublier dans cette liste le grand orgue de la cathédrale de Quimper, magnifiquement reconstruit par Giroud/Nonnet (1996-2003) et qui, en intégrant dans le buffet de Robert Dallam l’essentiel de la tuyauterie de Cavaillé-Coll et certains éléments postérieurs, offre une palette sonore permettant l’interprétation d’un très large répertoire.
Cette connaissance approfondie de la facture ancienne, classique et romantique, a permis aussi d’entreprendre des restaurations scrupuleuses et plus respectueuses du style et du matériel sonore des instruments concernés. Ainsi a-t-on pu rétablir dans un état proche de l’original les orgues de Dallam (Guimiliau, Guillemin 1986-90), Crozon (Sals, 1992) Ergué-Gabéric (Renaud 1980, Hurvy 1990), Ploujean (Formentelli, 1994), ainsi que les beaux instruments romantiques de Heyer (Saint-Thégonnec, Renaud, 1978 et 1998/ Caill, 2005, Locmaria-Quimper, Caill, 2006) ou de Claus (Landivisiau, Caill/Saby, 2010). D’autres attendent une restauration, tels Lannilis, Plouescat ou Douarnenez. On peut raisonnablement espérer que celles-ci pourront être menées à bien, vu l’activisme de la quinzaine d’association d’amis qui ne ménagent pas leurs efforts pour faire vivre ou revivre ces orgues remarquables. Et ce sans compter l’action sans relâche de l’unique facteur implanté dans le Finistère, Hervé Caill, dont la compétence et les réalisations constituent un moteur décisif pour la préservation et l’avenir de ce patrimoine exceptionnel, mis en valeur par l’organiste et musicologue Michel Cocheril depuis maintenant plus de trente ans.
Lexique
Boîte expressive À partir du XIXe siècle, certains jeux (correspondant au clavier dit de Récit) sont enfermés dans une sorte de chambre en bois munie de volets mobiles que l’on peut ouvrir ou fermer depuis la console (grâce à une pédale d’expression) permettant ainsi d’obtenir des effets de crescendos ou decrescendos.
Jeu ou registre ensemble de tuyaux émettant le même timbre, allant du plus grave au plus aigu, et correspondant à l’étendue d’un clavier (depuis le XIXe siècle 56 notes en règle générale, 30 ou 32 pour le pédalier). La hauteur des tuyaux est exprimée depuis toujours en pieds (32 cm) ; il existe, selon les orgues, des jeux de 1 à 32 pieds. Ainsi un jeu de 8 pieds (le plus courant) aura une hauteur de 2,5m pour la note la plus grave (retenue comme étalon), un jeu de 32 pieds (le plus grave, présent seulement dans les très grands instruments) une hauteur de 10 m. On distingue trois grandes familles de jeux : . les jeux à bouche (sur le principe de la flûte), qui donnent leur assise à l’instrument -on les appelle jeux de fonds (Montre, Flûtes, Bourdons) . les jeux à anche ou jeux d’anches qui donnent la couleur (Trompette, Clairon, Bombarde, Hautbois, Voix Humaine …). . les mixtures, jeux harmoniques comprenant plusieurs tuyaux par note (on parle alors de rangs), et dont la fonction est d’apporter brillant et éclat. Sauf exception, on ne les emploie jamais seuls.
Buffet Meuble monumental en bois, généralement ouvragé et agrémenté de sculptures (bas-reliefs, atlantes …) qui contient l’ensemble du mécanisme et la tuyauterie de l’orgue. Les buffets sont de véritables œuvres d’art qui constituent un décor enchâssant la partie visible de la tuyauterie (on parle alors de tuyaux de Montre). On distingue en général le buffet de Grand-Orgue et, en avant de celui-ci, le buffet de Positif (sauf cas des petits instruments et de ceux du XIXe siècle qui n’ont souvent qu’un seul buffet).
Registration Art de l’organiste consistant à choisir les jeux et à les associer en fonction du morceau interprété.
Sommier Sorte de châssis hermétique en bois, qui supporte les tuyaux et à l’intérieur duquel circule l’air amené depuis la soufflerie par l’intermédiaire de canaux appelés porte-vent. A chaque tuyau correspond une soupape, qui se lève lorsqu’on abaisse une touche au clavier, laissant pénétrer l’air, qui va faire vibrer le corps du tuyau et produire un son (selon le même principe qu’une flûte).
Tutti Registration (utilisée depuis le XIXe siècle consistant à faire entendre la totalité des jeux d’un orgue, dans toute sa puissance.
Console Véritable « poste de commande de l’organiste », elle comprend les claviers manuels (de 1 à 5 selon l’importance de l’orgue), et le pédalier. Chaque clavier correspond à un plan sonore distinct (Grand-Orgue, Positif, Récit, Écho ou Bombarde, Solo). De chaque côté des claviers sont disposés les tirants ou boutons de registre, qui permettent d’appeler les différents jeux au gré de l’exécutant. La console peut être : . « en fenêtre » lorsqu’elle fait corps avec le buffet du grand orgue (l’organiste joue alors dos à la nef), . indépendante -le plus souvent à partir du XIXe siècle (l’organiste joue alors face à la nef) . mobile, dans le cas de très grands instruments modernes à traction électrique ou électronique.
Traction On parle de traction pour dénommer le mode de tirage des notes reliant les touches du clavier aux soupapes. Celle-ci peut être mécanique, grâce à un système complexe de tirants, équerres et balanciers en bois et métal, électrique ou électronique dans certains instruments modernes (l’ouverture de la soupape est alors commandée par un électro-aimant ou un composant électronique).
Tuyaux En métal (étain majoritairement) ou en bois, les tuyaux peuvent être de forme, de longueur et de timbre différents (voir ci-dessus Jeux).
Pour aller plus loin
>> Orgues en Finistère : un site internet très complet qui recense tous les instruments connus du département et ouvre ses colonnes à la vie des associations, aux annonces de concert et à toutes les initiatives ayant trait à l’orgue.
>> Carnet de voyage, Le Finistère des orgues. Textes de Gwenaël Riou, Photographies de Jean-Paul Le Gall. Association des amis de l’Orgue de Loctudy ; éditions YIL, 2016. Intéressant et accessible panorama historique de la facture d’orgue en Finistère, très belle et riche iconographie.
En 1928, Vincent Rolland quitte le chantier naval Pauvy de Carantec où il a fait son apprentissage pour s’installer à son compte au Diben. La construction navale est plutôt prospère à en juger par les commandes immédiates : au printemps 1928, Vincent Rolland a déjà construit deux bâteaux de 5 et 5,50 mètres, l’un de pêche, l’autre de plaisance. Entre 1928 et 1954, pas moins de 168 bateaux sortent du chantier Rolland : 17 périssoires*, 55 bateaux de plaisance, 96 bateaux de travail (pêche ou servitude). La Madelon, première vedette à passager est mise à l’eau en 1938. Elle assurera la liaison entre Saint-Quay-Portrieux et Bréhat. Si la guerre ralentit la production, Vincent Rolland continue de construire malgré les difficultés d’approvisionnement et l’obligation d’entretien des navire allemands. En 1946, il achève toutefois la construction du plus gros bateau jamais construit au chantier : Le Volontaire qui mesure 20 mètres.
*Embarcation à fond plat, pointue et pontée à l’avant et à l’arrière se manœuvrant à la pagaie double (aviron, skiff…)
La continuité et l’innovation
En 1950, Vincent est rejoint par l’un de ses fils, Jean. En moins de quatre ans – de 1955 à 1959 -, ils construisent ensemble 10 bateaux de pêche et de servitude dont L’Étoile des ondes, un palangrier-langoustier de 16 mètres et La Mésange, une vedette de transport de passagers de même dimension.
L’année 1964 marque un tournant dans l’histoire du chantier avec l’apparition progressive des nouvelles techniques de fabrication polyester. Il devient l’un des premiers concessionnaires de la marque française Bénéteau ; le Capelan, petit voilier plastique remporte un vif succès.
Pourtant, le chantier continue de construire des bateaux bois, Le Primel, dessiné par Jean Rolland (palangrier-langoustier de 17,60 mètres en 1962), des vedettes élégantes et rapides comme Belenos (6,20 mètres en 1966), ou encore de nombreux côtres comme ceux de la série des Stérec.
Entre 1960 et 1980, le chantier produit 75 bateaux de 4,50 mètres à 19,50 mètres dont 21 voiliers, 54 bateaux de travail et de servitude.
La succession
En 1990, Yann Rolland rejoint son père Jean au chantier. Ensemble, ils construisent une réplique du Reder Mor dans le cadre du concours Bateaux des côtes de France organisé par le Chasse-Marée. Il sera à l’eau pour les fêtes maritimes de Douarnenez et Brest 1992. Ils n’ont à leur disposition qu’une photo du navire original, construit en 1909 chez Pauvy à Carantec : une véritable prouesse technique.
À partir de 2001, le chantier s’agrandit en ouvrant plusieurs concessions Bénéteau dans le Finistère. À partir de 2009, il exporte son savoir-faire jusqu’à Dubaï pour y construire une goëlette de 24 mètres et en Suisse avec la construction d’un bateau taxi pour Genève.
Le Kalinka sort tout juste du chantier Rolland qui l’a vu naître. Plougasnou, mai 1965
L’agence a livré deux panneaux historiques, retraçant l’un, l’histoire des trois épaves de l’anse du Diben à Plougasnou, l’autre celle du chantier naval Rolland. Les recherches, interviews, la rédaction et la mise en forme graphique nous ont été confiés par la mairie de Plougasnou pour laquelle nous avions déjà travaillé sur le parcours de la mémoire. (Voir notre rubrique Parcours de découverte)
Les épaves de l’anse du Diben
La Bretagne est le spectacle de nombreux cimetières de bateaux qui aspirent à la réflexion sur le temps qui passe et sur l’inévitable disparition des choses. Ils font partie du paysage des côtes bretonnes et sont considérés comme des éléments patrimoniaux à part entière. Celui de l’anse du Diben accueille trois beaux spécimens d’épaves particulièrement représentatives d’une construction navale locale.
La Marie-Françoise
Construite entre 1944 et 1945 au chantier Vincent Rolland, la Marie-Françoise est destinée à la pêche à la palangre* sur la côte nord de la Bretagne. Cette épave est un beau vestige des bateaux de pêche d’autrefois : elle témoigne de la construction navale locale et montre bien les formes des coques traditionnelles en bois des voiliers de travail de la Bretagne nord. La Marie-Françoise a cessé son activité de pêche dans les années 70 et a connu de nombreux propriétaires qui l’utilisaient comme bateau de plaisance, jusqu’à son abandon récent.
*Cette tehnique de pêche utilise des lignes sur lesquelles sont fixées des hameçons qu’on appelle les palangres.
Longueur : 13,5 mètres Type : voilier gréé sloup à tape cul Équipage : 6 à 7 hommes Patron : Thomas Réguer Moteur : Baudouin 45 cv
L’Etreom
L’Etreom (qui signifie « entre-nous » en breton) a été construit à Saint-Guénolé-Penmarch en 1970 au chantier des Charpentiers réunis. Il navigue pendant 15 ans dans le Finistère sud puis est vendu à un patron pêcheur de Plougasnou vers 1985. Son activité de pêche se concentre alors sur le chalut (pêche au filet) et la palangre dans tout l’ouest de la Manche. Il navigue presque 27 ans avant d’être désarmé* en 1996.
* On dit d’un bateau qu’il est désarmé quand l’équipage est débarqué et que le navire est déclaré inapte à la navigation dans les registres d’inscriptions maritimes.
Longueur : 17,39 mètres Type : chalutier , palangrier bois Équipage : 7 hommes Patrons : Alain & Serge Postic Moteur : Baudouin 430 cv
Un bateau, ça doit finir ses jours en mer ou sur l’estran, la quille dans l’eau.
Jean Rolland, patron du chantier naval Rolland
Le Kalinka
Conçu en 1962 au chantier naval Rolland, la construction du Kalinka débute en 1964. Sa coque, construite en chêne, nécessite 11 000 heures de travail. En tout, le Kalinka demandera 20 000 heures de travail. Il est lancé en mai 1965 et effectue sa première navigation en août de la même année et est armé pour la pêche à la palangre. Les hommes y travaillent 15 à 16 heures par jour. Lorsqu’ils arrivent au port, le poisson est pesé le soir même et vendu par les mareyeurs le lendemain matin.
En 1996, le Kalinka est désarmé. En mars de l’année suivante, lors d’une marée de coefficient 119, il est amené dans l’anse du Diben, après plus de trente ans de navigation.
Longueur : 18,85 mètres Type : palangrier en bois Équipage : 7 hommes Patron : Michel & Alain Rolland Moteur : Baudouin 280 cv
Ci-dessus, la Janais. Photographie prise le 26 janvier 1963 par Heurtier. L’Ami 6 est la première voiture fabriquée à Rennes. Source : portail documentaire du musée de Bretagne
On l’a vu récemment dans la presse, la Région Bretagne fait campagne pour inciter à « passer à l’ouest », changer de vie, travailler autrement, dans un cadre différent. Elle met le paquet sur l’attractivité du territoire. Elle a des atouts culturels, elle offre une qualité de vie exceptionnelle, elle est riche en entreprises innovantes. Dans le domaine industriel en particulier, la Bretagne compte aujourd’hui parmi les régions les plus dynamiques de France. Retour sur l’histoire récente de l’industrie en Bretagne.
Citroën en Bretagne, la genèse
Au début des années 50, presque tous les constructeurs automobiles français ont leurs usines en région parisienne. Citroën a déjà implanté à Rennes une usine de caoutchouc et de roulements à billes : la Barre-Thomas (1953).
A partir de 1955, l’Etat impose la construction des nouvelles usines en province, avec avantages financiers à la clé. La Bretagne fait partie d’un vaste programme de développement économique : le plan d’aménagement et de modernisation de la région s’élève à 200 milliards d’anciens francs. Seulement, on hésite, car la Bretagne est excentrée ; les infrastructures pour rallier la capitale sont insuffisantes, les trains sont particulièrement lents (pas plus de 100 km/h au début des années 60 entre Rennes et Paris !). Lorsque Citroën cherche un lieu d’implantation, Reims, Amiens, Châlons-sur-Marne et Rennes se portent candidates. En fin de sélection, c’est Reims contre Rennes.
La région Bretagne a des atouts : elle a de la main d’œuvre à proposer. Le terrain sélectionné est idéalement situé en périphérie, sur une surface gigantesque et quasiment plate : un gros avantage qui évite des travaux de terrassement particulièrement coûteux. Et puis Pierre Bercot, le patron de Citroën a des attaches dans le Finistère. Sa préférence va naturellement à Rennes.
La proximité de la Barre-Thomas jouera également en faveur de la décision finale.
1960, installation de Citroën à La Janais
Une concentration de toutes les compétences
En 1960, l’usine de la Janais est inaugurée par le Général de Gaulle. L’année suivante débute la production de l’Ami 6, puis de l’Ami 8 et de l’Ami Super (une version plus puissante de l’Ami 8). C’est une usine de carrosserie et de montage hyper moderne. Le dessin, la conception et la fabrication se font à la Janais, une fierté pour les Bretons qui y travaillent. Dans le reportage suivant (INA), on met l’accent sur la qualité de la main d’œuvre bretonne et sur les opportunités d’emploi : « Mais savez-vous que ces voitures sont l’exemple type du produit breton ? » , « En 1969, 60% des employés sont bretons, et parmi les Parisiens embauchés à l’usine, 30 % sont d’origine bretonne. » Citroën devient le premier employeur privé de l’agglomération rennaise
Une main d’œuvre d’ouvriers paysans
Beaucoup d’ouvriers sont aussi paysans. Les conditions de travail et la production à la ferme sont bien souvent difficiles, l’agriculture bretonne n’est pas au plus haut de sa forme. Avoir plusieurs emplois est une opportunité pour s’en sortir. Certains abandonnent la ferme pour trouver une stabilité à l’usine Citroën, d’autres combinent les deux emplois en mettant de côté, pour tenter de donner un second souffle à l’exploitation et investir dans du matériel. Cette main d’œuvre est très appréciée des dirigeants de Citroën : les paysans sont fiables, ils ont des connaissances dans de nombreux domaines, ils sont courageux, ils s’adaptent très facilement.
Une vidéo très intéressante sur les ouvriers paysans de la Janais
L’usine de la Janais en quelques chiffres
24 ha de site industriel
20 km de routes et pistes intérieures
18 voies ferrées pour acheminer les véhicules sur une grand ligne
1 200 véhicules produits aux débuts de l’usine en 1961
6 000 salariés en 1967
14 000 salariés au début des années 80
9 936 salariés en 2000
Sources
Inventaire du patrimoine culturel en Bretagne : en savoir +
Portail documentaire du musée de Bretagne et de l’écomusée du pays de Rennes : en savoir +
Les entreprises, leur histoire, leurs acteurs participent à l’attractivité du territoire au même titre que le tourisme, la qualité de vie, le tissu associatif, le patrimoine… J’ai souvent évoqué, dans mes articles et dans la présentation de ce site, la nécessité d’aborder le territoire sous l’angle de la globalité. Au Chantier Naval Jézéquel, la connexion entre économie et patrimoine est évidente.
J’ai une affection particulière pour la famille Jézéquel qui m’a confié à plusieurs reprises le travail de communication de cette entreprise familiale de renom. Le chantier naval Jézéquel a bâti sa réputation sur un savoir-faire transmis de père en fils depuis quatre générations. Il est aujourd’hui situé en bordure de rivière à Saint-François (Saint-Martin-des-Champs, près de Morlaix), mais il est reconnu comme un chantier carantécois, car c’est dans ce petit port du Nord Finistère que l’essentiel de son histoire s’est jouée. Lorsque j’ai travaillé sur la réalisation du site web du chantier, j’ai épluché avec Françoise Jézéquel un carton rempli de trésors correspondant à un siècle d’histoire, une ancienneté qui a valut au chantier d’obtenir en 2017 le Label Entreprises du Patrimoine Vivant.
Qu’est-ce que l’EPV ?
Le label d’État Entreprise du Patrimoine Vivant est la seule distinction qui vient récompenser et encourager l’excellence française, reposant sur la maîtrise avancée de savoir-faire rares, renommés ou ancestraux. Le label est né en 2005, les premières labellisations ont été attribuées en 2006. En France, 1 400 entreprises portent les couleurs de ce label.*
L’histoire de ce chantier commence pendant la guerre de 14-18, très loin des côtes finistériennes, au milieu de la mer Égée, sur l’île de Corfou (en Grèce). Alain Jézéquel s’est engagé dans l’armée, il est charpentier ; on l’affecte à la réparation des bateaux. Il y rencontre Eugène Moguérou, un Carantécois. A la fin de la guerre, ils sont amis, ils partagent la même passion de la mer et des bateaux, il décident de s’associer.
Du bateau à usage professionnel au bateau de loisir
La pêche et le transport légumier sont des préoccupations vitales en ce premier tiers du XXe siècle. Le savoir-faire du chantier s’oriente essentiellement vers la construction à usage professionnel. La voile de plaisance se développe en baie de Morlaix ; Eugène Moguérou décide d’orienter son chantier vers la construction de voiliers, un choix qui sera superbement développé par la famille Jézéquel.
D’Alain à Jean-Marie, quatre générations de constructeurs
Au chantier débute une ère de construction navale de loisirs. Brix, Dervin, Sergent, Cornu, ces architectes navals de renom verront leurs plans se concrétiser dans ce petit chantier carantécois. Alain (première génération) a depuis déjà longtemps transmis la fièvre à son fils Georges. En 1937, Georges (seconde génération) commence son apprentissage ; il reprend les rênes du chantier en 1952. Lui aussi transmet à son fils Alain (troisième génération) la passion de la construction navale. Après l’école, Alain s’initie – sous l’œil attentif de son père – à ses premiers apprentissages : calfatage sur des caisses de bois, pose des rondelles sur les pointes de rivets, puis participe de plus en plus activement aux chantiers. Il construit avec son père le cotre Bonne Espérance, dessiné par son frère Olivier, puis des unités de la série Prima, des Dauphin. En 1985, il reprend le chantier et construit des canots de 4,10 m, des Cat Boat, des Cormoran, des Bernache etc
La famille Jézéquel est une famille de marins, une tribu de passionnés. Jean-Marie (quatrième génération), né en 1986, navigue très jeune avec son grand-père et son père. Naturellement, il s’oriente vers le métier, en passant d’abord un CAP filière bois et matériaux associés, et en faisant parallèlement son apprentissage au chantier familial.
2017 : le chantier obtient le label Entreprise du Patrimoine Vivant
Jean-Marie reprend l’entreprise en 2016 et monte un dossier de demande de labellisation EPV. Un an plus tard, l’exception du savoir-faire du chantier est reconnue.
« C’est une vraie reconnaissance, une marque de qualité et un gage de pérennité dans ce métier qui devient rare. J’en suis très heureux, c’est une grande satisfaction sur un plan professionnel bien sûr, mais aussi familial. »
Sans nul doute, le Chantier Jézéquel produit des unités d’exception. La qualité est restée la même, le métier a su rester authentique, la passion et le savoir-faire ont traversé les décennies, avec le même soin, la même excellence. Le chantier fait d’ailleurs l’objet de nombreux articles dans la revue spécialisée dans le patrimoine maritime Le Chasse Marée.
A quoi sert cette labellisation ?
Faire partie des EPV, c’est aussi évidemment participer à la conservation du Patrimoine, voire des Monuments Historiques. Le Chantier Naval Jézéquel s’est vu confier à plusieurs reprises la restauration de navires classés. Histoire singulière, Phébus, construit en 1932 au chantier, y revient en 2005 dans un état dramatique :
« Restaurer un bateau classé Monuments Historiques nécessite un savoir-faire ancestral, et une connaissance infaillible de la construction navale traditionnelle. Quand on restaure un voilier classé, on a une grosse responsabilité ! Et c’est sans aucun doute cette passation de savoir-faire qui permet tout cela !. »
Vers la continuité
C’est aussi ce savoir-faire d’exception qui permet aujourd’hui la mise en chantier d’un nouveau Cormoran, dessiné par Olivier Jézéquel qui devrait pouvoir naviguer au printemps 2020. Cette construction originale et néanmoins approuvée par la jauge a d’ailleurs fait l’objet d’un article dans la revue Chasse-Marée.
La conserverie Chancerelle, deuxième employeur à Douarnenez (après le centre hospitalier), a fêté ses 165 ans en 2018, une année qui marque aussi le dépôt du dossier EPV (comprenez « Entreprise du Patrimoine Vivant »), obtenu en juillet 2019. À cette occasion, je me suis rendue à l’usine Chancerelle, pour une découverte passionnante de ce patrimoine industriel.
Pour expliquer cette labellisation EPV, il faut remonter assez loin dans le temps, au début de l’ère industrielle.
La conserverie de poisson, une activité ancienne
Au XIXe siècle, autour de Nantes et de Bordeaux, s’installe une puissante industrie alimentaire. La traite des noirs est désormais interdite (l’esclavage est aboli en 1848), Nantes, dont le commerce triangulaire a fait la prospérité, doit se reconvertir, la France est en pleine révolution industrielle, les paysages urbains se transforment.
Autour de Nantes, trois catégories d’industries alimentaires font leur apparition : les raffineries de sucre (la sucrerie de canne Say est fondée à Nantes en 1812, aujourd’hui connue sous le nom de Béghin Say), les biscuiteries (Biscuiterie Nantaise, LU) et les conserveries (Saupiquet, Chancerelle). La conserverie de la sardine existe déjà avant le XIXe siècle. Sur le littoral breton, on prépare la sardine confite, cuite au beurre dans de grands pots de grès. Ce procédé ne permet alors qu’un mois de conservation, et encore, c’est un peu contesté. Autour de la Méditerranée, la sardine est cuite dans l’huile d’olive, italienne, car elle ne dénature pas le goût du poisson, à l’inverse de l’huile d’olive de Provence. Petit à petit, les modes de conservation s’améliorent comme en témoignent les écrits d’Antoine Parmentier : l’extrait de viande peut se conserver plusieurs années s’il est contenu dans des boîtes en fer blanc*.
* Recherches sur les végétaux nourrissants qui, dans les temps de disette, peuvent remplacer les aliments ordinaires. Avec de nouvelles observations sur la culture des pommes de terre , Paris, Imprimerie royale, 1781.
L’appertisation, une révolution pour la conservation des denrées alimentaires
En 1795, Appert invente le premier procédé de conservation longue durée. Il est relayé très rapidement par Colin, confiseur spécialisé dans la friture au beurre de la sardine. Le principe est simple : les aliments sont déposés dans un bocal en verre, fermé par un bouchon de liège, cuits au bain-marie. En 1824, Colin (seconde génération) agrandit les ateliers, se développe, remplace le beurre par l’huile d’olive. Quatre ans plus tard (1828), Laurent et Robert Chancerelle créent leur première conserverie à Nantes.
L’autoclave est inventé en 1852 ; les aliments sont placés dans des boîtes en fer blanc, fermées hermétiquement, cuits à la vapeur (comme dans une cocotte-minute) ; il permet enfin une stérilisation véritablement efficace. C’est à ce moment-là que la production de sardine devient industrielle et non plus artisanale.
Ce film muet datant de 1912 donne de précieuses informations sur la conserve, l’appertisation, le sertissage.
Est-ce cette géniale invention qui conduit Robert Chancerelle à fonder la maison Chancerelle à Douarnenez en 1853 ? C’est probable. À Douarnenez, les sardines prennent le nom de « flèches d’argent », les sardinières de « penn sardin » (têtes de sardines), parce qu’on les identifie facilement à leur coiffe. Elles font la renommée des conserves de Douarnenez.
A la fin du XIXe siècle, Douarnenez compte 32 conserveries. Les hommes travaillent en mer, à la pêche, les femmes, à l’usine, préparent les produits et les mettent en boîte. Le savoir-faire n’a guère changé depuis : on met en boîte de la même manière, on éviscère toujours à la main, une technique que la Maison Chancerelle est fière de présenter comme unique : le poisson n’est pas abimé, ce qui explique d’ailleurs une présentation parfaite des sardines dans les boîtes Connétable.
Les critères pour devenir Entreprise du Patrimoine Vivant
Nous avons rencontré Laurence Blanlœil, responsable des relations publiques et relations presse chez Chancerelle. « Les critères que nous avons mis en avant sont l’ancienneté ; l’héritage d’une entreprise de père en fils, les capitaux de l’entreprise appartiennent toujours à la famille Chancerelle ; le savoir-faire ancestral : le geste est toujours le même, un coup de main unique. »
« Nous rejoignons ainsi les 1 400 entreprises qui partagent nos valeurs en conciliant la tradition et l’innovation, le travail et la passion, le patrimoine et l’avenir. A travers ce label, nous participons également à notre échelle au rayonnement économique de la région Bretagne. »
Jean-François Hug, Président de la Maison Chancerelle
Voyez le reportage de France 3 Bretagne :
Obtenir le label EPV, comment ça se passe ?
L’organisme EPV a effectué deux visites sur le site de la Maison Chancerelle ; l’objectif de ces visites est d’observer le processus de fabrication, le savoir-faire. En retour, l’entreprise constitue un dossier de photos familiales, de coupures de presse, d’archives. Pour Chancerelle, c’est après six mois d’étude que l’entreprise a obtenu le label. « Les trois personnes qui sont venues en observation chez nous n’en revenaient pas que tout se fasse à la main encore aujourd’hui, que l’humain soit si présent dans une chaine de production moderne ».
Concrètement, l’EPV, qu’est-ce que ça peut apporter à une entreprise ?
En externe, c’est appuyer la notoriété de l’entreprise, de ses savoir-faire, des marques et produits qu’elle commercialise. L’EPV est un gage d’excellence, le consommateur ne peut qu’y être sensible. C’est donc aussi une manière de se démarquer de la concurrence.
En interne, c’est faire valoir aux salariés que leur savoir-faire est reconnu, que le succès de l’entreprise repose aussi sur leurs compétences. Il y a chez Chancerelle une culture d’entreprise très marquée qui se transmet de génération en génération, un sentiment d’appartenance et une grande fierté chez les plus anciennes. Elles ont passé leur vie au sein de l’entreprise, elles transmettent leur savoir aux plus jeunes, comme autrefois. Pour preuve d’ailleurs, il y a un très faible taux de turnover. « Pour l’occasion, l’entreprise a offert a chacun de ses salariés une boîte de sardines qui porte les couleurs du label, une manière de saluer la qualité du travail réalisé » conclut Laurence Blanlœil.
Depuis quelques mois, avec mes amis du patrimoine, nous travaillons sur la mise en place d’un réseau de professionnels dont les activités gravitent autour de la valorisation et la conservation du patrimoine et de la culture en Bretagne. On se retrouve régulièrement pour une journée de travail, avec une visite de chantier, de site ou de monument, un repas et une réunion. Nous sommes issus d’horizons variés, de professions diverses, mais nous avons en commun cette passion qui rythme notre vie personnelle et professionnelle.
Le 10 juin 2020, nous avons roulé jusqu’à Marcillé-Raoul, une petite bourgade de l’Ile-et-Vilaine qui a la particularité de posséder un site féodal. On est au « Châtel » ou sur « Les Buttes du Châtel » à quelques kilomètres de Combourg (la cité de Chateaubriand). Un peu plus à l’Est : la citadelle de Fougères.
Difficile de se rendre bien compte de l’ampleur de ce site, la nature y a repris ses droits depuis bien longtemps, et pas qu’à moitié. Pourtant, on estime que le site est de dimensions assez comparables au château de Fougères. Michel Brand’Honneur y a travaillé avec l’APPAC, l’Association pour la promotion du patrimoine de l’Antrainais et du Coglais. Il sera notre guide pour cette visite. Il est muséographe indépendant et membre de notre réseau. On assiste à une véritable enquête que je vais essayer de vous dévoiler le plus fidèlement possible.
Chronologie d’une découverte
> Début 2016, des bénévoles entreprennent de valoriser le site en débutant par le nettoyage. À cette date, on ne peut pas atteindre le sommet de la motte, la végétation est trop dense. > En 2017, l’APPAC, soutenue par la mairie et la Communauté de Communes, prend la décision de faire appel au C.e.R.A.A (Centre d’archéologie d’Alet). > Après deux ans d’étude, en 2019, le centre d’archéologie d’Alet est capable d’affirmer que le site ne présente pas les caractéristiques d’une simple motte féodale (ancêtre du château-fort) mais qu’il s’agit d’un site castral complexe.
Des traces de maçonnerie
La phytoarchéologie est une étude scientifique des plantes qui mêle botanique et archéologie. Elle permet de dresser un inventaire, de cartographier puis d’analyser les plantes présentes sur le site. La spécificité de ces plantes permet alors de déterminer la nature des sols : sont-ils calcaires ? Sont-ils acides ? Et c’est là que ça devient très intéressant. Le sol de Marcillé-Raoul est acide. S’il y pousse des plantes de sol calcaire, cela indique la présence de pierres rapportées, donc possiblement de maçonnerie. La Chelidonium majus (Chélidoine), les Prunus (pruniers sauvages), les Ormus (ormes) poussent sur de la chaux, sol calcaire. Sur le site de Marcillé-Raoul, la présence de ces végétaux permet de tirer des conclusions étonnantes : les ormes parfaitement alignés indiquent la présence d’un mur, les pruniers sauvages de traces de maçonnerie. Ainsi est-on capable de confirmer que le site présentait non pas une tour, comme on l’a pensé de prime abord, mais 5, voire 6 tours !
Et puis, le hasard faisant parfois bien les choses, EDF, en voulant installer un équipement sur le site, découvre un morceau de schiste taillé ; les archéologues en concluent qu’il s’agit de toute évidence d’un morceau de ce qui fut jadis une tour.
Ainsi, peut-on en conclure que le site était doté d’une construction de pierre et non de bois, donc postérieure à la période des mottes féodales du Xe siècle.
La présence d’un boulevard de défense
Le boulevard correspond sans aucun doute à une zone d’artillerie (des canons lourds) qui arrive bien plus tard, aux alentours du XVe siècle. Le boulevard mesure 5 à 28 mètres de large : autant dire que c’est un système de défense très efficace, bien loin des clôtures légères de bois des mottes féodales. Entre le boulevard et les deux mottes, des douves.
Une basse-cour riche en informations
Là encore, la phytoarchéologie permet de faire parler les lieux. On y a retrouvé des reliquats de fraises des bois (une variété très ancienne), de groseille à maquereau, d’orge qui laissent présager de la présence humaine. Deux hypothèses sont possibles : soit on est sur un ancien lieu de plantation, soit sur un ancien lieu de stockage des graines qui ont fini par germer. La présence de fumier dans les sols indique la probable existence d’un abri pour les chevaux. Il est probable qu’il y ait eu ici une écurie. On a pu déterminer également que la motte 2 était aussi dotée d’une habitation.
Un château de pierre disparu
Ce sont les relevés lapidaires (des pierres) dans les alentours (et en particulier dans les champs voisins du site) qui ont permis d’établir des hypothèses. On y a trouvé pas moins de 3 500 pierres d’arase, utilisées dans les constructions de châteaux forts. Elles pourraient correspondre à ces fameux cordons entre les couches de moellon, photographiés ici au château de Fougères.
On y a également trouvé de multiples morceaux de céramique du Coglais, datées du XVe siècle et des fragments de pots. L’un d’eux présente un sommet en bandeau, une apparence tout à fait spécifique du Moyen-Âge.
Dans les constructions civiles alentours, les relevés architecturaux ont permis d’observer des apports qui semblent étrangers, comme si les pierres avaient été façonnées pour un autre bâtiment. Par ailleurs, bon nombre de ces pierres sont rougies ; cette couleur indique vraisemblablement qu’elles ont subi un incendie. Est-ce celui de cette forteresse ? C’est tout à fait probable.
Une durée de vie vraisemblablement très courte
Que sait-on exactement de ce château ? On trouve des textes datés des alentours de 1200 qui mentionnent la Seigneurie de Marcillé. On sait qu’un château a été construit à cet emplacement entre 1166 et 1173, probablement « à la va-vite ».
En 1166, justement, Henri II de Plantagenêt détruit le château de Fougères et chasse le Seigneur Raoul de Fougères, qui part en croisade. En 1173, c’est la grande révolte contre Henri II de Plantagenêt, Raoul de Fougères participe activement à cette révolte. C’est dans ce contexte que le château de Marcillé-Raoul aurait été construit, pour pallier un manque. Fougères et Bazouges, commune voisine de Marcillé, sont maîtrisées par Henri II de Plantagenêt. Raoul doit trouver de nouvelles terres pour bâtir un nouveau château, sans doute provisoire.
Un bourg castral avorté
Au delà du boulevard, on a retrouvé les traces d’un bourg qu’on présume avorté. Pourquoi n’a t-il jamais pris d’ampleur ? A quelques kilomètres de Marcillé-Raoul, dans la petite ville de Bazouges-la-Pérouse, le commerce est florissant, bien installé. La concurrence était peut-être trop rude…
Tous mes remerciements à Michel Brand’honneur pour cette visite fabuleuse. Je vous donnerai très bientôt des nouvelles de notre réseau de professionnels indépendants du patrimoine en Bretagne, promis !
En juillet, j’ai trainé mes baskets entre la bibliothèque Les Amours Jaunes et le port de Locquirec, j’ai effectué des recherches sur mes plateformes d’archives préférées, j’ai envoyé des mails à mes amis passionnés de patrimoine. Un petit indice par-ci, un gros par-là, j’avais trouvé mon fil conducteur pour le panneau « Patrimoine » commandé par la mairie de Locquirec. Je vous en reparle très bientôt. Mon métier, c’est 50% terrain (à la rencontre des acteurs de mon territoire, pour des interviews, des reportages photo, pour s’imprégner d’un lieu) et 50% bureau (rédaction, conception des documents et supports de médiation…).
Sur le terrain, autour du port de Locquirec, j’y suis allée accompagnée de Pierre Réguer, l’initiateur de Cuisine à L’Ouest, un amoureux des belles et bonnes choses. Il partage avec moi ce goût de l’histoire et du patrimoine et notre conception de la communication est sensiblement la même. En plus, il a passé un sacré temps sur cette plage du port quand il était petit, il la connait par cœur…enfin, il croyait la connaître par coeur !
Récit d’une « visite enquête »
Par Pierre Réguer
Locquirec ? J’y ai passé une partie de mon enfance, dans ma famille. Une partie de mon adolescence aussi, le camping avec la bande de copains, les virées en bateau.
Alors vous pensez bien que Locquirec, je connais comme ma poche. Ses ruelles, ses jolies maisons qui toutes portent un nom, ses hortensias. Ses plages, surtout celle du port, Chez Tilly, le tour de la pointe, la jetée. La pêche aux coques au fond de la baie, les vagues à Porzh ar Villiec…
Mais là, j’ai découvert un Locquirec que je n’imaginais même pas. Ces extraordinaires rochers plats, dressés à la verticale, derrière la jetée, auraient pourtant dû me mettre la puce à l’oreille.
Bon, que je vous raconte. J’ai accompagné Violaine Pierret, en tant que photographe, pour une véritable enquête sur le port de Locquirec. Une visite professionnelle, donc.
Violaine s’est documentée au préalable. Des recherches dans les archives départementales, régionales, parfois privées aussi, lui ont appris que ce port est récent, que cette pointe était autrefois un site d’extraction de pierre, la fameuse ardoise de Locquirec. Elle a trouvé un plan des anciennes carrières littorales, elle s’est documentée sur les techniques d’embarquement des pierres sur les gabares, dundées et goélettes échoués sur le sable…
Il nous restait à visualiser ça sur le terrain, à chercher et photographier les vestiges de ces activités anciennes.
Nous voilà donc arpentant l’estran, à marée basse, derrière le port. Paysage familier : la baie immense traversée par le lit du Douron qui vient frôler le bout du môle, les bancs de sables blancs, les rochers, les bateaux, les pêcheurs à pied, les baigneurs…
Violaine arpente les restes de carrière, repère les langues de sables dégagées pour permettre aux bateaux de s’avancer, cherche (en vain) des anneaux d’amarrage, trouve des traces de taille de pierre… Elle fait ce qu’on appelle de l’interprétation du paysage. Elle vous en parlera sûrement dans un de ses articles.
Et là, guidé par Violaine, je photographie, mais surtout je VOIS. Je vois les carrières, j’entends les ouvriers débiter les plaques de schiste, je vois les gabares échouées sur le sable, dans lesquelles on charge les lourdes pierres, j’entends les palans grincer, les pierres sonner, les hommes jurer et blaguer.
Je vois la plage envahie par les éclats de pierre qui, quelques décennies plus tard, polis par les marées, feront d’excellent galets à ricochet pour amuser les enfants.
Je vois la construction du môle, fait de dalles de pierre de Locquirec mais habillé de granit de l’île Grande. Qui a eu cette idée de génie, construire cette jetée qui allait à la fois délimiter un port et empêcher les débris de carrière de venir recouvrir la plage ? Une jetée qui allait dessiner l’avenir balnéaire de Locquirec, accompagner la construction des villas, des hôtels et des restaurants… C’est justement le thème de la recherche de Violaine Pierret. la moisson a été bonne, elle a de quoi illustrer son panneau de signalétique interprétative.
Quant à moi, plus jamais je ne regarderai Locquirec de la même façon.
En mars 1947, Plougasnou reçoit la médaille de la Résistance. Elle a été instituée à Londres par le général de Gaulle dès février 1943 et récompense 18 villes qui depuis se passent le drapeau d’année en année, pour ne pas oublier. Le 12 septembre prochain, c’est Plougasnou qui le recevra, l’occasion pour Nathalie Bernard et son équipe de marquer leur attachement à l’histoire de la commune et leur engagement à perpétuer la mémoire de celles et ceux qui jadis résistèrent.
La municipalité a souhaité réaliser un chemin mémoriel, avec la réalisation de panneaux de signalétique interprétative qui racontent ces histoires singulières de toutes ces femmes et ces hommes, pour que leurs actes et leurs noms ne soient jamais oubliés.
Les étapes d’un travail de valorisation
Le document de travail initial a mobilisé un groupe de bénévoles engagés, des citoyens de Plougasnou très impliqués dans l’histoire de la commune. Ils ont réalisé ensemble un document d’une cinquantaine de pages, rassemblant toutes leurs recherches sur le sujet de la Résistance à Plougasnou.
J’interviens à ce moment là…
Sur le terrain pour s’imprégner du sujet
Phase n°1 Pour travailler sur un sujet aussi important, aussi délicat que la Résistance, la déportation, la violence d’une guerre encore présente dans les esprits, il faut aller s’imprégner des lieux. J’ai sollicité le groupe de travail qui m’a fait la visite du futur parcours, site par site. C’était vraiment passionnant et ça m’a permis de visualiser, de rendre le parcours plus concret. Ensuite, j’ai rencontré Loïc Créach (du service Espaces Naturels et Paysages du Conseil départemental du Finistère) et Benjamin Urien (Responsable du service Cadre de vie et Biodiversité à Morlaix Communauté) ; ils devaient se rendre dans les blockhaus de Saint-Samson pour effectuer le comptage des chauve-souris, espèces protégées qui nichent dans ces constructions sous terre. Ils m’ont autorisée à les accompagner. Ces bunkers ne sont pas accessibles au public pour des raisons de sécurité, c’était une occasion de les découvrir. J’ai fait des photos, puis de retour au bureau, j’ai griffonné quelques croquis et des plans.
Décortiquer les documents
Phase n°2 Ensuite, j’ai travaillé sur la lecture du document de travail, noté tous les modes de présentation que je pouvais envisager pour mettre en valeur ce travail de recherche : cartes ou plans de situation, frise chronologique, dessins et schémas. Puis j’ai fait le tour de l’iconographie fournie par le groupe de travail : beaucoup d’images d’archives familiales, très petites et qui avaient pour certaines beaucoup souffert, des plans d’architectures difficiles à décortiquer pour le grand public. J’allais avoir un gros travail iconographique à réaliser : retouche des photographies anciennes, réalisation de schémas simplifiés des bunkers, création de dessins d’interprétation pour les images manquantes. Au delà de l’aspect informatif d’une image, il m’a semblé indispensable d’apporter – par le dessin – une dimension émotionnelle.
Les panneaux de signalétique interprétative
Phase n°3 Avec les contenus fournis par le groupe de travail, j’ai proposé une réorganisation des informations ; certains panneaux étaient prévus en double, d’autres manquaient de contenus, j’ai enquêté, posé des questions, rédigé, dessiné, mis en page. Pour l’implantation des panneaux, je suis retournée sur le terrain pour voir avec l’architecte des Bâtiments de France et les animateurs du Pays d’Art et d’Histoire quelles solutions s’offraient à nous, quels types de supports nous étaient imposés, quelles couleurs pour les pupitres…
Le livret Parcours
Phase n°4 Au départ, il n’était question que du parcours, des panneaux de signalétique interprétative. Mais ça me semblait incomplet : j’ai proposé d’ajouter deux livrets d’accompagnement à la visite, un pour les adultes, un pour les enfants (8-12 ans). Il fallait à mon sens dessiner un contexte plus général, régional, voire national pour apporter de la lumière à l’histoire des résistants de Plougasnou. Dans quel contexte historique se sont-ils engagés pour libérer leur ville ? C’est quoi la différence entre un camp de concentration et un camp d’extermination ? Pourquoi y a-il des fortifications militaires à Plougasnou ? C’est quoi le mur de l’Atlantique ? La délation sous l’occupation ? Je me suis lancée dans un long travail de recherches d’informations, d’iconographie, de demandes d’autorisations d’usage des images en France, en Allemagne, suivi d’un gros travail rédactionnel. Passionnant !
J’ai soumis le document pour une relecture attentive à des experts, à des historiens, l’occasion pour moi de remercier mes parents (tous les deux historiens de formation), Guillaume Lécuillier, chargé d’étude d’inventaire du patrimoine à la Région Bretagne, et Alexandra Le Dreff et Loïc Quéméner du Pays d’Art et d’Histoire. Tous ont apporté une contribution enrichissante !
Phase n°5 L’objectif de ce travail, c’était bien sûr aussi participer à ce qu’on appelle le devoir de mémoire : et ça a du sens d’inclure les plus jeunes. Les derniers combattants de la Seconde Guerre Mondiale disparaissent. Si ma génération est encore très sensible au sujet, parce que nos grands-parents ont vécu cette époque dramatique, qu’ils nous en ont fait le récit, nos enfants le sont peut-être moins. Or, ils doivent devenir à leur tour le relais de ces témoignages.
J’ai conçu le document de A à Z, pendant le confinement ; c’était pratique, j’avais mes propres enfants pour dialoguer. Je me souviens à table un soir, j’étais embêtée : comment représenter la torture en image pour des 8-12 ans ? J’avais griffonné quelques croquis rapides dans la journée, mais ils étaient très durs, très violents. Je voyais bien que ça n’allait pas du tout ! L’une de mes filles m’a donné la solution : « Dessine le manoir où se sont passés les faits façon BD et ajoute une bulle qui donnera l’information, comme un AAAAAAHHHHH ! « .
Un petit clic sur les couvertures pour découvrir les livrets dans leur intégralité. <
Phase n°6 Bien choisir ses prestataires, en local, c’est une question de bon sens ! Préparer les fichiers, gérer le suivi de fabrication auprès de 4 fournisseurs différents ce qui rend la phase n°6 assez délicate : il ne faut rien négliger !
J’ai choisi de travailler avec des fournisseurs accessibles, qui m’appellent en cas de problème, qui me conseillent quand j’ai une interrogation sur un matériau, une découpe. C’est l’assurance d’un travail de qualité et d’un rendu à la hauteur du patrimoine. Merci à Le Friant Publicité à Garlan pour les panneaux en dybon, Intersignal pour les plaques en lave émaillée (Pommeret dans les Côtes d’Armor), l’Imprimerie de Bretagne (Morlaix) et le Département du Finistère (pour la fabrication des panneaux du site Natura 2000 de Saint-Samson).
Des sources pour les enseignants
Quelques pistes bibliographiques ou cinématographiques pour bien aborder la période de la guerre, la Résistance et la Déportation avec les primaires, collégiens et lycéens.
Pour les élèves de primaire : « Les grandes Grandes Vacances » avec les Cahiers d’Ernest et Colette 1939-1944 (une retranscription d’un cahier d’écolier pendant la guerre), la BD est aussi agréable à feuilleter. Les aventures d’Ernest et Colette existent aussi sous forme de roman (avec quelques illustrations) et de DVD très accessibles pour le jeune public.
Pour les enseignants, je recommande cette petite collection vraiment très bien faite avec deux références incontournables : « L’Occupation expliquée à mon petit-fils » de Jean-Pierre Azéma, spécialiste de la France sous l’Occupation et « La Résistance expliquée à mes petits-enfants » de la grande figure féminine de la Résistance Française, Lucie Aubrac.
Pour les collégiens, deux références en bande-dessinée : Irena qui raconte l’histoire d’une héroïne de la Résistance dans le ghetto de Varsovie et Les enfants de la Résistance qui met en scène le courage d’adolescents pendant l’Occupation allemande.
Pour les lycéens : le très émouvant film de Louis Malle « Au Revoir les Enfants » qui raconte l’histoire d’enfants cachés par leurs enseignants. Maus, d’Art Spiegelman, la barbarie sous la forme animale, dessinée avec une grande justesse et l’incontournable Stalag II B de Jacques Tardi qui raconte l’histoire de son père déporté.
Voilà un long travail de plusieurs mois qui vient de s’achever ! J’ai pris un plaisir immense à travailler sur ce dossier ! Si vous aussi, vous souhaitez mettre en valeur l’histoire de votre commune, son patrimoine ou sa culture, appelez-moi !
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