Marcillé-Raoul, un château médiéval provisoire

Depuis quelques mois, avec mes amis du patrimoine, nous travaillons sur la mise en place d’un réseau de professionnels dont les activités gravitent autour de la valorisation et la conservation du patrimoine et de la culture en Bretagne.
On se retrouve régulièrement pour une journée de travail, avec une visite de chantier, de site ou de monument, un repas et une réunion.
Nous sommes issus d’horizons variés, de professions diverses, mais nous avons en commun cette passion qui rythme notre vie personnelle et professionnelle.

Le 10 juin 2020, nous avons roulé jusqu’à Marcillé-Raoul, une petite bourgade de l’Ile-et-Vilaine qui a la particularité de posséder un site féodal. On est au « Châtel » ou sur « Les Buttes du Châtel » à quelques kilomètres de Combourg (la cité de Chateaubriand). Un peu plus à l’Est : la citadelle de Fougères.

Difficile de se rendre bien compte de l’ampleur de ce site, la nature y a repris ses droits depuis bien longtemps, et pas qu’à moitié. Pourtant, on estime que le site est de dimensions assez comparables au château de Fougères.
Michel Brand’Honneur y a travaillé avec l’APPAC, l’Association pour la promotion du patrimoine de l’Antrainais et du Coglais. Il sera notre guide pour cette visite. Il est muséographe indépendant et membre de notre réseau.
On assiste à une véritable enquête que je vais essayer de vous dévoiler le plus fidèlement possible.

Chronologie d’une découverte

> Début 2016, des bénévoles entreprennent de valoriser le site en débutant par le nettoyage. À cette date, on ne peut pas atteindre le sommet de la motte, la végétation est trop dense.
> En 2017, l’APPAC, soutenue par la mairie et la Communauté de Communes, prend la décision de faire appel au C.e.R.A.A (Centre d’archéologie d’Alet). 
> Après deux ans d’étude, en 2019, le centre d’archéologie d’Alet est capable d’affirmer que le site ne présente pas les caractéristiques d’une simple motte féodale (ancêtre du château-fort) mais qu’il s’agit d’un site castral complexe.

La Motte féodale est souvent représentée soit en deux buttes, soit en une, comme sur cette illustration extraite de l’Histoire sommaire de l’Architecture religieuse, civile et militaire au Moyen-Âge (Atlas de M. de Caumont – 1837). Les constructions sont sommaires, en bois, défendues par une simple clôture et un fossé. L’étude menée à Marcillé-Raoul à partir de 2017 a démontré que le site du « Châtel » ne présentait pas ces caractéristiques.

Des traces de maçonnerie

La phytoarchéologie est une étude scientifique des plantes qui mêle botanique et archéologie. Elle permet de dresser un inventaire, de cartographier puis d’analyser les plantes présentes sur le site. La spécificité de ces plantes permet alors de déterminer la nature des sols : sont-ils calcaires ? Sont-ils acides ?
Et c’est là que ça devient très intéressant. Le sol de Marcillé-Raoul est acide. S’il y pousse des plantes de sol calcaire, cela indique la présence de pierres rapportées, donc possiblement de maçonnerie.
La Chelidonium majus (Chélidoine), les Prunus (pruniers sauvages), les Ormus (ormes) poussent sur de la chaux, sol calcaire. Sur le site de Marcillé-Raoul, la présence de ces végétaux permet de tirer des conclusions étonnantes : les ormes parfaitement alignés indiquent la présence d’un mur, les pruniers sauvages de traces de maçonnerie.
Ainsi est-on capable de confirmer que le site présentait non pas une tour, comme on l’a pensé de prime abord, mais 5, voire 6 tours !

Et puis, le hasard faisant parfois bien les choses, EDF, en voulant installer un équipement sur le site, découvre un morceau de schiste taillé ; les archéologues en concluent qu’il s’agit de toute évidence d’un morceau de ce qui fut jadis une tour.

Ainsi, peut-on en conclure que le site était doté d’une construction de pierre et non de bois, donc postérieure à la période des mottes féodales du Xe siècle.

La présence d’un boulevard de défense

Le boulevard correspond sans aucun doute à une zone d’artillerie (des canons lourds) qui arrive bien plus tard, aux alentours du XVe siècle. Le boulevard mesure 5 à 28 mètres de large : autant dire que c’est un système de défense très efficace, bien loin des clôtures légères de bois des mottes féodales.
Entre le boulevard et les deux mottes, des douves.

Dessin d’interprétation réalisé à partir des informations récoltées par les chercheurs. ©Violaine Pierret

Une basse-cour riche en informations

Là encore, la phytoarchéologie permet de faire parler les lieux. On y a retrouvé des reliquats de fraises des bois (une variété très ancienne), de groseille à maquereau, d’orge qui laissent présager de la présence humaine. Deux hypothèses sont possibles : soit on est sur un ancien lieu de plantation, soit sur un ancien lieu de stockage des graines qui ont fini par germer.
La présence de fumier dans les sols indique la probable existence d’un abri pour les chevaux. Il est probable qu’il y ait eu ici une écurie.
On a pu déterminer également que la motte 2 était aussi dotée d’une habitation.


Un château de pierre disparu

Ce sont les relevés lapidaires (des pierres) dans les alentours (et en particulier dans les champs voisins du site) qui ont permis d’établir des hypothèses. On y a trouvé pas moins de 3 500 pierres d’arase, utilisées dans les constructions de châteaux forts. Elles pourraient correspondre à ces fameux cordons entre les couches de moellon, photographiés ici au château de Fougères.

©Violaine Pierret – Château de Fougères – Février 2014

On y a également trouvé de multiples morceaux de céramique du Coglais, datées du XVe siècle et des fragments de pots. L’un d’eux présente un sommet en bandeau, une apparence tout à fait spécifique du Moyen-Âge.

Dans les constructions civiles alentours, les relevés architecturaux ont permis d’observer des apports qui semblent étrangers, comme si les pierres avaient été façonnées pour un autre bâtiment. Par ailleurs, bon nombre de ces pierres sont rougies ; cette couleur indique vraisemblablement qu’elles ont subi un incendie. Est-ce celui de cette forteresse ? C’est tout à fait probable.

Une durée de vie vraisemblablement très courte

Que sait-on exactement de ce château ?
On trouve des textes datés des alentours de 1200 qui mentionnent la Seigneurie de Marcillé. On sait qu’un château a été construit à cet emplacement entre 1166 et 1173, probablement « à la va-vite ».

En 1166, justement, Henri II de Plantagenêt détruit le château de Fougères et chasse le Seigneur Raoul de Fougères, qui part en croisade. En 1173, c’est la grande révolte contre Henri II de Plantagenêt, Raoul de Fougères participe activement à cette révolte.
C’est dans ce contexte que le château de Marcillé-Raoul aurait été construit, pour pallier un manque. Fougères et Bazouges, commune voisine de Marcillé, sont maîtrisées par Henri II de Plantagenêt. Raoul doit trouver de nouvelles terres pour bâtir un nouveau château, sans doute provisoire.

Un bourg castral avorté

Au delà du boulevard, on a retrouvé les traces d’un bourg qu’on présume avorté.
Pourquoi n’a t-il jamais pris d’ampleur ?
A quelques kilomètres de Marcillé-Raoul, dans la petite ville de Bazouges-la-Pérouse, le commerce est florissant, bien installé. La concurrence était peut-être trop rude…

Tous mes remerciements à Michel Brand’honneur pour cette visite fabuleuse. Je vous donnerai très bientôt des nouvelles de notre réseau de professionnels indépendants du patrimoine en Bretagne, promis !

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