Chaumont, capitale du design graphique

Chaumont est une ville de la Région Grand-Est, située à une centaine de kilomètres au nord de Dijon. En somme, entre la Champagne et la Bourgogne. Vous situez ? Souvent, lorsque j’évoque cette ville, on me dit « ah oui, bien sûr, je suis déjà allé(e) au Festival des Jardins ». Erreur ! Ce Chaumont-là, c’est le Chaumont-sur-Loire qui semble avoir pris toute la notoriété… sauf pour ceux qui – comme moi – se passionnent pour le design graphique. Chaumont (en Haute-Marne, donc) n’en est pas moins importante ; elle a su se créer une véritable identité, un moteur d’attractivité : elle est devenue la capitale du design graphique. Et elle aspire à être aussi connue que son homonyme du Val-de-Loire.

Chaumont, 21 000 habitants, capitale du design graphique

L’histoire est palpitante : au tout début du XXe siècle, à la veille de sa mort, le député Gustave Dutailly lègue son exceptionnelle collection de 5 000 affiches à la Ville de Chaumont. Que s’est-il passé entre 1905 et 1990 ? Mystère. En tout cas, la collection n’a pas vraiment fait parler d’elle. Il faut donc attendre la fin du siècle pour voir naître le premier Festival international de l’affiche et du graphisme à Chaumont. La dynamique est lancée. Le festival célèbre le graphisme, avec la mise en place d’un concours international, un concours de la « Sélection française » (qui récompense les meilleures affiches des designers français) et enfin, en 1994, le concours « Étudiants, tous à Chaumont ! ».

Dans la collection d’affiches anciennes du Signe


Au départ, donc, choix est fait de valoriser le design graphique par le prisme de l’affiche. La Ville ouvre un service dédié au design graphique. Sa mission : en conserver les œuvres, les valoriser, mettre en place des événements sur le territoire. Cette importance donnée à la discipline mène petit à petit à un projet de centre dédié. Le Signe ouvre ses portes au public en 2016, à l’initiative de la Ville. Il exposera ensuite d’autres objets dont la qualité repose sur celle de son design graphique : pochettes de disques, éditions, etc.

Exposition Simenon Simenon, présentée cet été au Signe. Elle rassemble une vaste collection de romans de Georges Simenon, dont le soin apporté au design des couvertures est particulièrement intéressant.

Le Signe, centre national du design graphique

Rien que pour l’architecture, le lieu vaut le détour. Les expositions, ateliers et bureaux occupent un bâtiment intéressant, alliant le classicisme de l’ancienne Banque de France à une création architecturale très épurée, aux lignes résolument contemporaines, signées Moatti-Rivière.
Le Signe est un groupement d’intérêt public constitué par la Ville de Chaumont, la Région Grand-Est et l’État. Il vise à encourager la production, à promouvoir la diffusion et à soutenir la création contemporaine dans le champ du design graphique. Tous les deux ans, les passionnés, professionnels ou non, sont invités à se rendre à la biennale qui se tient de juin à octobre.

Le Signe propose aussi une médiation sensible, pensée pour tous les publics, et des ateliers de création, souvent autour de la conception d’affiche, appuyant l’importance de la composition, de la couleur, de la typographie. Dans le hall d’entrée, chaque année un atelier autonome. Tous les outils nécessaires sont mis à disposition des visiteurs : création de cartes postales avec des motifs autocollants hyper colorés, très géométriques, très « pop art », conception de pochettes de vinyls… Professionnels et non initiés s’y croisent, la rencontre entre les deux mondes est bénéfique.

Le design graphique partout dans Chaumont

Design graphique et patrimoine

Là où c’est encore plus intéressant, c’est que la biennale se tient – certes au Signe – mais aussi dans toute la ville. Dans la Chapelle des Jésuites, décors baroque et design graphique contemporain dialoguent avec intelligence. L’exposition Voir la French Touch (été 2025) présente les plus belles pochettes d’album de ce mouvement musical, faisant le lien entre création contemporaine et patrimoine : brillant, porteur de sens, d’une grande force esthétique. Elle amène le visiteur à s’interroger sur l’art, en adoptant un regard transversal, en se posant des questions sur les techniques, en mettant en relation des procédés de création foncièrement différents, mais dont l’objectif universel est commun, celui de « laisser une trace ».

Une typographie pour la com de la Ville

À Chaumont, on assume ses choix jusqu’au bout. Pour la communication de la Ville, pas question de tomber dans de l’institutionnel poussiéreux : la municipalité a créé sa propre typographie pour la représenter, son propre univers graphique, qui fait assurément de ses outils de communication des supports singuliers, forts, riches.

Le long de la façade des halles de Chaumont, une série de supports présente l’identité graphique de la ville.
Un exemple de support de communication de la Ville de Chaumont

Un parcours de fresques en ville

Pour parfaire la démarche, la Ville a voulu que son identité investisse l’espace urbain ; une manière de sensibiliser le public au graphisme. En 2021, elle a lancé un appel à projet pour la création d’un parcours d’art graphique. Directeurs de la culture de la Région Grand-Est, de la municipalité, du Signe, architectes des bâtiments de France (ABF), formant un solide jury, ont porté leur choix sur cinq designers graphiques. Aux quatre coins de la ville, le graphisme s’offre aux visiteurs. C’est beau, coloré, contemporain, créatif, intelligent, car chaque projet est porteur de sens.

Justine Figueiredo – Surface jouable est une œuvre dont la forme puise son inspiration dans l’univers du jeu. Elle habille ici la totalité des façades d’une maison. La fresque valorise l’édifice, invite le promeneur à observer les formes, la palette de couleurs, et donne envie de la considérer au regard du quartier dans lequel elle est implantée. Justine Figueiredo a également conçu un jeu, dérivé de la fresque, que l’on peut découvrir via une application mobile.
Photos : Richard Pelletier
Simon Renaud – Le réel s’écrit sur … imaginée pour la médiathèque de Chaumont, l’œuvre amène le visiteur à s’interroger sur la transformation de l’écriture par les éléments numériques : ici, le code- barre sert de point de départ à la démarche créative. L’artiste créé un motif qui forme une ligne d’écriture, dont les Chaumontais doivent s’emparer en décryptant une phrase cachée. 
Photos : Richard Pelletier
Grégoire Romanet – Multiballe. Pour le gymnase Jean Masson, Grégoire Romanet a mis la population à contribution : autour de la thématique de la « balle », du « ballon », le public a créé ses propres compositions de balles avec de simples papiers colorés. Grégoire Romanet les a re-dessinées et assemblées pour en faire une composition très puissante, qui met en valeur un édifice fortement fréquenté par les habitants de Chaumont. La démarche participative est vraiment intéressante : elle crée un sentiment d’appartenance, elle contribue à faire du graphisme une culture commune et finalement accessible.
Photos : Richard Pelletier
Atelier Baudelaire – Mur d’enceinte de l’hôpital, avenue Carnot. L’œuvre se veut participative, créée à partir de témoignages collectés par les artistes, récits qui racontent la ville, telle qu’elle est vécue et perçue par ses habitants.
Photos : Richard Pelletier

Un pôle de formation supérieure en design graphique

Pour finir, le Lycée Charles de Gaulle de Chaumont propose des formations supérieures : DNMade (Diplôme national des métiers d’art et du design : 3 ans de formation après le bac) « Graphisme, identité et édition », DSaa (Diplôme supérieur d’arts appliqués : 2 ans de formation après un DNMade) « Design graphique et médiation culturelle » ou licence professionnelle « Graphisme, édition et typographie ». Le lycée – dont la réputation sur le plan national n’est plus à faire – accueille également des professionnels reconnus du design graphique pour des workshops avec les étudiants.

Si, comme moi, partir à l’aventure dans l’est de la France, ne vous fait pas peur, n’oubliez pas de passer par Chaumont, capitale du design graphique.

Élus de Bretagne (et d’ailleurs), si cet article vous inspire la création d’un projet-événement autour du design graphique, faites-moi signe : je vous accompagnerai volontiers, en tant qu’assistante à maîtrise d’ouvrage, sur sa mise en place.

Le Vitra Campus : haut-lieu du design et de l’architecture

Le Vitra Campus est un lieu unique qu’il faut absolument aller voir si l’on s’intéresse à l’architecture et au design : ici, les plus grands architectes (Jean Prouvé, Frank Gehry, Tadao Ando, Zaha Hadid…) côtoient les plus grands noms du design d’objet (Charles et Ray Eames, Alvar Aalto, Jasper Morrison, Bouroullec, etc.). Ce mélange de disciplines, cette effervescence de formes et de genres est à voir au moins une fois dans sa vie.

Mais tout d’abord, Vitra, c’est quoi ?

Dans le jargon du design, on peut définir Vitra comme un éditeur. C’est assez comparable à un éditeur de livres, le principe est à peu près le même : il sélectionne ou commande une œuvre (en l’occurrence à un designer), et s’engage à la produire en série et à la distribuer. Il peut aussi racheter les droits d’édition, ce qui l’autorise à produire et vendre un objet.

Les débuts d’un géant du design

Vitra est fondée à Bâle (Suisse) en 1937 par Willi Fehlbaum. Après-guerre, le développement rapide de l’entreprise l’amène à agrandir ses espaces de production. Elle s’installe en 1950 à Weil am Rhein, en Allemagne, à deux pas des frontières entre la Suisse, la France et l’Allemagne.
Trois ans plus tard, lors d’un voyage à New York, Willi Fehlbaum découvre le travail de Ray et Charles Eames. Il est conquis (et déterminé) : en 1957, il obtient une licence de production de la collection d’Hermann Miller, qui inclut bon nombre des mobiliers du couple Eames.

Hermann Miller
Entreprise américaine de mobilier de bureau qui collabore avec de grands designers comme Alvar Aalto ou Ray et Charles Eames. Hermann Miller va produire notamment la fameuse Eames Lounge Chair, dessinée en 1945
(ci-contre).

L’incendie de 1981

1981 marque un véritable tournant dans la vie de l’entreprise. Un incendie ravage le site de Weil am Rhein. Ce drame amène la famille Fehlbaum à repenser le site. L’idée du « Vitra factory campus » émerge petit à petit : toujours lieu de production, mais aussi lieu de partage et d’expositions, l’espace accueillera plusieurs édifices. Le projet est ambitieux. Très ambitieux.

Parallèlement, Vitra obtient en 1988 l’autorisation de produire la totalité de la collection Eames et fait l’acquisition d’une partie non négligeable des archives, prototypes en trois dimensions (les vrais objets !) du couple Eames. On peut d’ailleurs les apercevoir dans le « Schaudepot » :

Le Schaudepot permet d’apercevoir les prototypes de Charles et Ray Eames ; mais juste de les apercevoir. Petite déception : on ne peut déambuler dans ces allées, ce qui explique le reflet sur cette photo, prise depuis l’extérieur de cet espace qu’on ne peut regarder qu’au travers d’une vitre.

Reconstitution du bureau de Charles Eames, (avec les vrais objets du designer) dans le bâtiment du Schaudepot. En allemand, le verbe schauen signifie « regarder ».

Les plus grands noms de l’architecture pour le campus Vitra

Frank Gehry pour le Vitra Design Museum et la seconde halle de production (1989)

On a bien compris que la famille Fehlbaum est ambitieuse et voit grand : elle fait appel à Frank Gehry qui signe un édifice (ouvert en 1989) que l’on reconnaît immédiatement : son style est inimitable. Si vous ne connaissez pas, je vous invite à découvrir ici quelques-unes de ses architectures les plus emblématiques. Quand je regarde ses œuvres, j’imagine une sorte de jeu de boîtes, empilées de manière inattendue, déformées, jamais vraiment régulières, qui paraissent irrationnelles. Gehry casse les codes, il ose. C’est la surprise à chaque découverte.
Ce bâtiment accueille le Vitra Design Museum : centre de recherche, lieu d’expositions. Il imagine également l’architecture de la première halle de production, à priori rectangulaire, à l’exception d’une multitude de petites formes ajoutées sur la périphérie du bâtiment.

Le Vitra Design Museum dessiné par Frank Gehry

Zaha Hadid pour la Fire Station (1993)

En 1993, la Fire Station est opérationnelle. Cette caserne de pompier imaginée par l’architecte Zaha Hadid pour Vitra se constitue d’éléments anguleux en pointes de béton brut. La Fire Station, considérée comme le premier projet d’envergure de Zaha Hadid, l’amènera à concevoir les édifices les plus fous, rejetant presque systématiquement les angles droits, jouant de formes organiques et sinueuses ou de diagonales structurées. Elle est de toute évidence l’une des plus grandes architectes contemporaines du monde, dans un milieu essentiellement masculin.

La Fire Station de Zaha Hadid

Cet édifice résolument contemporain étonne par sa forme mais aussi par son usage, qui s’explique néanmoins assez simplement : Vitra a retenu la leçon du grand incendie de 1981 en se montrant pragmatique et efficace. Autant avoir la source nécessaire sur place en cas de pépin !

Tadao Ando pour le Pavillon de conférences (1993)

Là encore Vitra étonne par son avant-gardisme ; sa commande du Pavillon des conférences à Tadao Ando introduit l’architecte japonais en Europe pour la première fois. Si vous avez déjà eu l’occasion de visiter la Bourse de Commerce – Pinault Collection à Paris, c’est à lui que l’on doit également cette enveloppe de béton brut , sorte « d’architecture dans l’architecture », un « cercle dans le cercle ».

La VitraHaus, Jacques Herzog et Pierre de Meuron (2010)

La VitraHaus présente une vue d’ensemble de la collection Home de Vitra. L’ensemble est composé d’une série de formes élémentaires, rappelant celles d’une maison classique (un volume rectangulaire, un toit triangulaire), qui se superposent de manière apparemment désordonnée. On découvre un à un chacun de ces modules, qui révèlent les collections de Vitra.

À l’intérieur, il y a un côté labyrinthique dans cet ensemble (comme chez Ikea, me direz-vous ? Non, en bien plus amusant, bien plus original, avec des escaliers en colimaçon, d’autres droits, des recoins, des terrasses avec vue sur le jardin) qui crée la surprise, donne envie de se faufiler entre les espaces pour découvrir une nouvelle salle, de nouveaux espaces scénographiés, de nouveaux objets. Là où c’est vraiment fort, c’est que c’est davantage perçu comme un espace d’exposition qu’un lieu commercial. Et là, où c’est encore plus fort, c’est qu’en finissant la visite, on a tout bonnement envie de changer tout son intérieur !

Jacques Herzog et Pierre de Meuron pour le Schaudepot (2016)

Parmi leurs réalisations les plus connues, on trouve la fameuse Elbphilarmonie (Hambourg, 2016) et la Tate Modern (Londres, 2000). Ces deux édifices remarquables ont la particularité d’avoir été imaginés à partir d’architectures existantes : une centrale électrique désaffectée datant du XIXe (pour la Tate) et un ancien entrepôt de fèves de cacao construit dans les années 1960 (pour Hambourg). La démarche est vraiment intéressante ; il me semble que la contrainte de l’existant apporte une sacrée difficulté !
J’y vois un matériau de prédilection, la brique, que l’on retrouve dans l’architecture du Schaudepot du campus Vitra.
L’édifice à la forme très élémentaire se prolonge par une sorte de place au parement de brique, matériau apporteur de couleur sur un site essentiellement blanc-gris-noir.

Le Schaudepot à l’extérieur

Dans le Schaudepot, l’exposition Science Fiction montre une multitude d’objets issus du cinéma et des séries télévisées de science-fiction, parfois empruntés à l’architecture, comme ici à droite, avec une maquette de l’Atomium (Bruxelles). Chaque espace du Vitra Campus accueille des expositions, temporaires ou permanentes.
Au Vitra Campus, il y a encore mille choses à découvrir, le pavillon Prouvé, le jardin (Oudolf Garten), vraiment magnifique et qui révèle les architectures. Un peu partout sur le site, on peut se poser sur une Wire Chair, et si l’on vient avec ses enfants, il y a un Kinder Garten avec des toutes petites Panton Chair et les Eames Elephant vraiment trop mignons. Enfin, sachez que le restaurant permet de manger pour pas cher (moins de 30 € à deux) et c’est vraiment bon !

Le jardin d’enfants

La Wire Chair (Eames) que l’on trouve un peu partout dans le jardin pour se reposer (et tester le mobilier….)

Le restaurant

J’espère vous avoir donné envie d’aller visiter ce lieu d’exception, en vous apportant quelques clés de lecture et en partageant avec vous mon enthousiasme. Ce n’est pas la porte à côté, mais le déplacement en vaut la chandelle !

« Roger Joncourt, explorateur de la matière », une exposition conçue par l’agence

Du 1er mars au 20 avril 2025, le service culturel de la Ville de Landivisiau consacre au sculpteur Roger Joncourt une exposition rétrospective. Il m’en a confié la réalisation, m’accordant une très grande liberté.

J’ai parfois le sentiment que les gens dissocient le patrimoine et l’art, alors qu’il existe entre ces deux disciplines des passerelles indéniables.
« L’histoire de l’art, c’est avant tout de l’histoire », expliquait Michel Dupré, mon directeur de recherche à la fac. Cette introduction à mon premier cours d’histoire de l’art ne m’a jamais quittée, tant elle avait du sens.

Expo d’art vs expo de patrimoine

La démarche n’est pas foncièrement différente : travailler sur la conception d’une exposition, que ce soit sur des questions de patrimoine ou d’art, fait appel aux mêmes compétences : il faut savoir construire un récit, aller à l’essentiel, dégager des thèmes forts, rendre l’ensemble attractif, faire des choix (on ne peut pas tout montrer). Il faut savoir écrire aussi, on a tendance à l’oublier ; la maîtrise du langage, c’est quand même un peu la base. Et il faut aimer partager.

Ce travail concrétise plusieurs moments de ma vie, celle de l’étudiante en fac d’arts, celle de l’enseignante en arts-plastiques et arts-appliqués, celle de la conceptrice de supports de médiation culturelle que je suis aujourd’hui.
2025 marque un tournant dans la vie de mon entreprise : avec cette expo Joncourt, avec une autre exposition, portant sur Jim Sévellec (Musée de Morlaix), et avec un projet encore plus ambitieux, un parcours de découverte du patrimoine de Plougonven par le prisme de la création plastique contemporaine. Je suis complètement emballée.


Roger Joncourt – Le Renard (1953) – Plâtre
Témoignage de son goût pour le bestiaire, cette sculpture est présentée par Roger Joncourt pour son diplôme de fin d’études.


Je ne vais pas vous parler ici de l’expo Joncourt, car il faut aller la voir. Il faut toucher le bronze, le plâtre et le marbre. Il faut frôler de la main les aspérités de la matière, les ondulations d’une chevelure, la ligne géométrique d’un corbeau ou d’une pie. Il faut tourner autour des œuvres pour bien les observer. Il faut aussi observer les yeux noirs et pourtant si rieurs de Roger Joncourt.
Non, je vais plutôt tourner cet article autrement.

Cher Roger,
je ne te connais pas, je ne t’ai jamais rencontré. Et pourtant, je sais tout de toi, enfin presque. Quand je suis arrivée dans ton atelier, tu étais encore tellement présent. Tu as peut-être quitté cette terre, mais tu es toujours là, parce que tu laisses derrière toi une œuvre bien présente.
Dois-je le confesser ? De toi, je ne connaissais guère que ton cheval de travail, le fameux Paotr Mad, cette statue de laiton qui trône fièrement devant l’hôtel de ville de Landivisiau.
Loïc, ton fils, m’a ouvert les portes de ta maison, de ton atelier. Tu y conservais tout, une aubaine pour la chercheuse que je suis. Dans un premier classeur humide, j’ai trouvé une multitude de photos, celles de tes sculptures les plus monumentales. Tu les as réalisées pour des collectivités publiques, souvent dans le cadre du 1% artistique. Je reste bouleversée par ce décor en bas-relief imaginé pour le cimetière d’Aubervilliers, et par tes sculptures photographiées en noir et blanc et qui rappellent combien ta culture artistique était solide. J’y vois du Arp, du Moore, du Giacometti et même du Franck Gehry !

Roger Joncourt – Le château (1985) – Laiton patiné

J’ai découvert en lisant tes notes que tout cela n’était guère surprenant : tu avais fréquenté dans ta jeunesse l’Académie Royale et les Beaux-arts d’Anvers, juste au moment où on y créait l’un des plus importants musées de sculpture en plein air : le Middelheim Museum. Tu y découvrais les œuvres des sculpteurs du XIXe, Rodin, Bourdelle, Maillol et des avant-gardistes, Arp, Marini, Zadkine…
Puis à Paris, c’est ce même Zadkine qui devenait ton professeur. Je découvrais un texte de lui, écrit à la plume, rédigé pour t’aider à obtenir une bourse. Il te décrivait comme « un sculpteur de très grand talent ».

Chez toi, j’ai découvert aussi le collectionneur que tu étais, les trocs faits avec les copains, Joël Moulin, Jean-Claude Faujour, Jean-Paul Jappé, Michel Lancien, Michel Le Bourhis et tant d’autres. Ton entourage d’artistes, ton univers.

J’ai tant aimé observer tes carnets de croquis, tes découpages dans les magazines, tes études approfondies, tout ce qui montre si bien comment tu créais et qui résume si bien le processus créatif universel des artistes.

Cher Roger, sais-tu combien j’étais émue de cette rencontre ? Alors, toute cette émotion, j’ai voulu la partager dans cette exposition – avec ceux qui t’aimaient, avec ceux qui connaissaient ton travail, avec ceux aussi qui n’avaient jamais entendu parler de toi.

Exposition Roger Joncourt, explorateur de la matière
Espace Lucien Prigent – Landivisiau
Du 1er mars au 20 avril 2025.

Pour voir les compétences engagées par l’agence sur ce projet, rendez-vous dans la rubrique expositions.

« Avant-Après » : quand l’agence retravaille des contenus fournis

Il arrive parfois qu’une première base de contenus me soit fournie. C’était le cas pour ce projet de parcours d’interprétation du patrimoine, une commande de la Ville de Landivisiau.
Le travail a été déjà bien amorcé par le service culturel de la Ville. J’ai reçu des textes bien fournis et des images pour les illustrer.
Ces textes et images ont d’ailleurs fait l’objet d’une édition : « Parcours Landivisiau . Au cœur du pays des enclos paroissiaux ». Par conséquent, répéter mot à mot les contenus du livret sur les panneaux d’interprétation du patrimoine ne représentait pas un grand intérêt.
Vous en convenez ?


La demande ici, c’est que je retravaille les contenus pour que les panneaux soient plus attractifs, plus faciles d’accès et de lecture ; pour faire simple, qu’ils soient agréables à découvrir, suscitent la curiosité du public, l’entraine dans une histoire ou plusieurs petites histoires à retenir.

Mais pour vous, cher lecteur, tout ce ceci n’est pas forcément très clair. Aussi vais-je me plier à un exercice comparatif, avec un « avant-après », qui devrait être plus parlant.

Panneau version 1 : contenus du client


Ici, les contenus fournis par le service culturel de la Ville de Landivisiau, simplement mis en forme par mes soins :
on observe que le texte est dense, que le dessin avec un plan difficile à comprendre. La matière est là, et le travail fourni par le service culturel est de qualité. Il va me servir de base sérieuse pour entamer mes recherches.


Panneau version 2 : contenus retravaillés par l’agence


Vous saisissez la différence ? Et bien en fait, c’est exactement pour cet apport que le service culturel de la Ville de Landivisiau m’a consultée.


Quels sont les apports de ma proposition ?

  • Moins de texte, c’est plus de chances de partager de l’information avec le public
  • Le plan en dessin dans la version n°1 a été refait, il a été complété avec des pastilles numérotées qui renvoient vers une légende. Les dessins des façades des édifices légendés sont très difficiles à comprendre et à envisager dans un paysage urbain actuel. Je les supprime car ils n’apportent pas d’information nécessaire.
  • On organise les contenus différemment : avec plusieurs niveaux de lecture, des intertitres et des zones de texte courant en quantité raisonnable.
  • On fait usage d’un style rédactionnel accessible.
  • On complète avec des contenus qui apportent un contexte : et si on expliquait le fonctionnement d’une tannerie ? C’est une activité qui n’existe plus sur la commune et qui mérite peut être quelques explications ?
    Je propose de montrer au public les différentes étapes du travail des peaux : je réalise une illustration accompagnée d’un court texte explicatif.

Un autre exemple « avant » ?

Que remarque-t-on ?

  • Que c’est particulièrement dense, qu’il y a beaucoup de texte
  • Que les contenus sont donc difficile à aborder

Redéfinir les contenus, les réorganiser

Par quels moyens ?

  • En apportant du contexte, ici matérialisé par des repères chronologiques qui permettent de situer l’ossuaire et son histoire mouvementée dans le temps. En une frise chronologique, on raconte l’essentiel de cet édifice : les contenus sont plus faciles à découvrir présentés de cette manière concise.
  • En établissant des comparaisons avec d’autres ossuaires d’autres enclos paroissiaux.
  • En faisant un focus sur la spécificité des enclos paroissiaux du Finistère : le traitement de la mort.
  • En variant les niveaux de lecture, toujours, et les modes de présentation : images rondes, rectilignes, dessin.
  • En incitant le public à porter son regard sur les détails de l’architecture avec le focus « observez ».

Un projet de parcours d’interprétation du patrimoine ?
Appelez-moi au 06 62 20 69 41 ou envoyez-moi un mail à violaine@violaine-pierret.com

L’Odet d’autrefois, axe de transport de marchandises

Jusqu’à la seconde guerre mondiale, l’Odet est un espace de travail :
on achemine jusqu’à Quimper, du vin importé de Nantes ou de Bordeaux, du sel venu de Guérande. Quimper exporte des céréales produites dans les communes de la Cornouaille méridionale. 
Le fleuve est un véritable atout pour transporter des marchandises car les routes sont rares et les chemins existants sont difficilement praticables. 


Néanmoins, la navigation sur l’Odet n’est pas simple. En aval de Quimper, l’Odet maritime, forme à marée haute un véritable bras de mer découvrant à marée basse de larges grèves vaseuses ; le manque d’eau par endroit nécessite de s’y aventurer uniquement à marée haute. Les manœuvres sous voile sont difficiles en particulier dans les coudes de la rivière. 
Certains navires préfèrent éviter de remonter la rivière en restant au mouillage à Bénodet ou à mi-rivière. Une flottille de gabares prend le relais pour la suite de la navigation : la dimension relativement modeste de ces bateaux permet
une navigation plus sûre.
Toutefois, les quais de l’Odet à Quimper donnent à voir une armée de voiliers de travail : lougres, goélettes, dundees, chasse-marée… 
On y transporte toutes sortes de marchandises, y compris du sable et du maërl.

Vue du port de Quimper, prise de l’aval.
Vers 1857 . Eugène Boudin (1824 – 1898) . Coll. Musée des Beaux-Arts de Quimper

Sabliers de l’Odet 

Jusque dans les années 50, le sable est exploité directement sur la grève, à marée basse. Le bateau est alors couché sur le côté, les « pêcheurs de sable » le remplissent à la pelle. La tâche est pénible. Quand la chaloupe est pleine, ils remontent à bord et n’ont plus qu’à attendre que la mer soit haute pour acheminer le sable vers Quimper. Le sable servira à fabriquer des mortiers pour la construction, puis plus tardivement, du béton. 

Les « pêcheurs de sables » chargent leur bateau à la main à Sainte-Marine.
Ils remonteront l’Odet pour déverser leur cargaison sur les cales de la rivière et les quais de Quimper.
Coll. privée. Photographie d’André Dauchez aux alentours de 1900.

Le dernier sablier de l’Odet : le Penfret

Mis en service en 1987, le Penfret a été conçu pour extraire du maërl et du sable en l’aspirant des fonds de l’estuaire de la Loire, particulièrement riches. Le maërl a longtemps été exploité dans l’archipel des Glénan : mélange de sable et de débris d’une algue très calcaire, on l’utilisait autrefois pour enrichir en calcium les terres cultivables.
À partir de 2010, l’exploitation de maërl a été interdite en France car elle menaçait toute une biodiversité marine. 

Le Penfret
Le sablier Penfret à quai au port du Corniguel à Quimper, mai 2014.
(Archives départementales du Finistère)

L’attrait de la rivière

Les rives de l’Odet sont jalonnées de châteaux et manoirs, témoins de l’attrait exercé par les bords de la  rivière. La noblesse et la bourgeoisie aisées du XVIIIe et XIXe siècles y font construire une résidence secondaire pour échapper à l’effervescence de Quimper le temps d’un week-end ou de vacances estivales. 

L’Odet et le château de Kerambleiz 
Plomelin – Fonds Godineau (Archives départementales du Finistère)

Ces élégantes bâtisses  participent à l’attrait touristique de l’Odet. 
En 1885, le Plongeur transporte des passagers de Quimper à Bénodet. Le Terfel, première vedette équipée d’un moteur à pétrole (construite en 1905) peut transporter une centaine de passagers. Elle ne fonctionne alors que pendant les périodes estivales. Hors saison, elle est utilisée comme remorqueur, apportant son aide aux goélettes et sabliers qui remontent la rivière. 

Le Terfel prêt pour le départ sur les quais de l’Odet à Quimper 

En 1929, la capacité de Reine de l’Odet démontre une activité touristique de plus en plus dense :  sa capacité est de 160 voyageurs. 

La station de sauvetage de Primel et son canot

Histoire d’un édifice disparu

En 1902, la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés (ancêtre de la SNSM) annonce sa décision d’implanter à Primel la 102e station de sauvetage de France : 36 ans après celle de Roscoff, 8 ans après celle de l’île de Batz.

L’histoire paraît fluide, racontée de cette manière, mais en réalité,  l’emplacement de cette station semble être le fruit de réflexions mouvementées. 

À la fin du XIXe siècle, le trafic commercial est considérable en baie de Morlaix et on a bien conscience qu’entre Roscoff et Perros, il manque une structure de sauvetage : entre 1888 et 1895, 9 navires font naufrage autour de la pointe de Primel. Néanmoins, le choix de son emplacement n’est pas facile à décider : 

Les archives (1883) évoquent Locquirec, finalement abandonné, jugé trop éloigné de l’entrée du port de Morlaix, en plus d’être particulièrement exposé aux vents de nord. Le petit port de Térénez est également mentionné, il a l’avantage d’être bien abrité par tout temps.

L’un des rares clichés de la station de sauvetage en 1927. On devine la cale de mise à l’eau qui semble bien courte sur cette photographie. 

Mais finalement, en 1895,  c’est à Primel que l’on décide d’installer la Station de sauvetage et plus précisément sur le site de Beg an Diben. L’endroit semble idéal pour y construire une cale de dimension modérée « d’un faible cubage de maçonnerie et donc d’un prix relativement peu élévé » et pour y implanter la maison abri.

La cale mesure 38 mètres de long et 3,42 mètres de large (entre les murettes garde-roues).  À l’époque, on pense que l’emplacement choisi permettra une mise à l’eau relativement aisée. En réalité, la remontée dans son abri du Docteur Comme, le canot de la station, sera souvent bien difficile. Elle nécessitera parfois même l’intervention d’un attelage de deux chevaux.


Le Docteur Comme, canot de sauvetage de la station de Primel

Le projet de Station est complété par la construction d’un canot de 10,10 mètres. Dès 1902, Le Docteur Comme prend place dans l’abri de la Station. Il s’agit d’un canot de 10 avirons : les bateaux de sauvetage ne sont pas encore motorisés en ce début de XXe siècle.

Étonnamment, et de manière paradoxale avec les textes de projets qui évoquent la nécessité d’implanter une nouvelle Station en baie de Morlaix, ce n’est que le 27 décembre 1910, soit huit ans après la mise en service de la Station, que le Docteur Comme effectue son premier sauvetage. On n’en sait d’ailleurs que peu de choses si ce n’est que le navire en péril était un vapeur baptisé le Saint André.

Le Docteur Comme est mis à l’eau et sorti de l’eau grâce à un chariot à trois roues, relativement mobile et un système de palans. Ici, ce sont les marins affectés au Docteur Comme, mais ils sont parfois aussi 
pêcheurs de métiers et donc souvent en mer. Les hommes peuvent être en nombre insuffisant pour la mise à l’eau ou le retour dans l’abri. Les habitants de Primel, qu’ils soient marins ou non, viennent alors prêter main forte à l’équipage : le canot de sauvetage est une fierté locale qu’on se doit de protéger.

Il faut compter environ une demi-heure pour mettre à l’eau le canot, à en juger par les écrits laissés en avril 1922 par Vincent Rolland, patron du canot de sauvetage de Primel  : « Le 17, vers neuf heures du matin, sur un signal de détresse fait par le sémaphore, je m’empressais de me rendre à la station. Je hissais le pavillon en berne, et l’équipage répondant à mon appel fit sortir le canot qui était à l’eau à 9h30. ».

Au total, le Docteur Comme effectuera onze sorties de sauvetage, la plupart dans des conditions difficiles.

Le Docteur Comme semble trouver d’autres usages : ici, sans doute à l’occasion d’un Pardon.

Le Docteur Comme est racheté en août 1950 par Vincent Rolland puis vendu à un chantier ostréicole. Il a été modifié pour les besoins du métier. Sa carcasse est restée longtemps visible à Kerarmel (Plouezoc’h). En 2022, le canot est découpé et les morceaux mis à disposition d’artistes qui réaliseront des œuvres sur ces supports. Elles seront vendues au profit de la SNSM.

L’abri sera quant à lui démonté. Le bois,  transporté sur un chaland à la godille jusqu’à l’anse du Diben, sera réutilisé dans la construction de la maison des Rolland, actuelle Maison de la Mer. 


Un canot construit au Havre pour de nombreuses stations de sauvetage

Les chantiers Augustin Normand au Havre ont construit un grand nombre de canots sur le même modèle que le Docteur Comme. Ici l’Amiral Courbet (1875) à Cayeux-sur-Mer (Picardie) et un autre canot identique au Cap-Ferret (Gironde).

Le canot de sauvetage du Cap-Ferret (Gironde) – également construit au Havre – devant son abri.
Une photographie d’un de ces canots sous voile permet de se rendre compte du gréement. 

Fiche technique du Docteur Comme

Longueur : 10,10 mètres
Largeur : 2,27 mètres
Équipage : 12 hommes
Patron : Vincent Rolland
Construction : Chantiers Augustin Normand (Le Havre)
Date de construction : 1901
Livraison à la Station de Primel :  mai 1902

L’œuvre de Ricardo Cavallo célébrée à Morlaix

Acquisition d’œuvres de Ricardo Cavallo par le musée de Morlaix

Si en 2016, le musée de Morlaix avait monté une exposition en ses murs, ses collections ne comptaient pas encore d’œuvres du peintre argentin. C’est désormais chose faite, et ça a du sens : Cavallo a beaucoup exercé son regard sur les architectures urbaines de Morlaix et a produit des tableaux intenses, où le travail de la lumière donne une impression d’intemporalité. S’il est tentant d’établir une comparaison avec les impressionnistes (on pense alors à la série des Cathédrale de Rouen peintes par Monet entre 1892 et 1894 : chaque toile représente l’édifice à une heure, selon une météo précises), Cavallo, qui peint aussi en plein air, superpose les couches de peinture, revient sans arrêt sur son travail, capte les couleurs de tous les moments comme s’il avait envie de tout montrer, le Morlaix du matin, de l’après-midi, de l’été, du printemps, en un seul tableau. 

Avant l’exposition au Sew du tableau « Morlaix, le fleuve au milieu », l’équipe du musée prépare l’assemblage du diptyque. 

Son œuvre s’articule autour de petits supports en bois marouflés de toile qu’il assemble pour composer un tableau monumental, parfois lui même composé de plusieurs panneaux. C’est le cas de « Morlaix, le fleuve au milieu », un diptyque récemment acquis par le musée, avec le soutien de l’association des Amis du musée. Ce tableau, dont le sujet si familier ne peut que nous toucher, représente la ville entre le viaduc et la mairie, la multitude de petites maisons des flancs Est de la ville, ses jardins en pente si caractéristiques. La ville baigne dans une atmosphère chaleureuse, grâce à une palette de jaunes et d’ocres, de bleus et de violets, de verts ; pourtant la couleur ne permet pas vraiment de déterminer l’heure. Le ciel semble nous rappeler que le beau temps n’est jamais éternel, que les nuages sont annonciateurs de pluie. 

Les dimensions généreuses du tableau invitent à l’évasion dans ce paysage de paradoxes temporels, pour chercher une maison que l’on connaît, se perdre dans les ruelles à peine ébauchées, pour laisser son esprit vagabonder. 

Pour compléter ce tableau remarquable, le peintre a souhaité faire don d’un autre tableau, « L’Anse d’Ariane », un paysage de mer. Ricardo Cavallo travaille à Saint-Jean-du-Doigt et le littoral exerce sur lui une fascination inaltérable : la pluralité des formes et des couleurs de la roche et de la mer est une éternelle source d’inspiration. 


Au cinéma La Salamandre, un film touchant sur la peinture de Cavallo, sur l’amitié, sur le partage

L’hommage se poursuit avec la projection d’un film d’une sensibilité à couper le souffle, réalisé par le cinéaste international Barbet Schroeder. On y suit la vie de peintre de Ricardo Cavallo, entre Saint-Jean-du-Doigt et son petit atelier de Neuilly, en visite chez ses amis collectionneurs. On suit la descente vertigineuse, matériel sur le dos, vers la grotte qu’il a entrepris de peindre sur cette côte sauvage du Trégor, on le voit travailler, organiser ses visites selon la marée, retoucher un fragment de tableau… 

Il nous parle des grands maîtres qui ont fait sa joie, Le Caravage, Velasquez ou Monet, de son désir de partager son savoir, de l’école de peinture qu’il a mise en place à Saint-Jean-du-Doigt, « une évidence » selon lui. 

À la projection du 8 novembre, Ricardo Cavallo et Barbet Schroeder ont fait l’honneur de leur présence et ont joué le jeu des questions-réponses avec un public passionné. Un événement vraiment exceptionnel à La Salamandre ! 

Barbet Schroeder et Ricardo Cavallo accueillis au Sew par Jean-Paul Vermot s’apprêtent à revoir le film à la Salamandre, en compagnie du public, le 8 novembre 2023. Ils posent devant les tableaux récemment acquis par le musée de Morlaix : « L’Anse d’Ariane » et « Morlaix, le fleuve au milieu »

Article rédigé pour le Morlaix Mag – Décembre 2023

Morlaix bombardée il y a 80 ans

Ce fut à l’approche d’un week-end, le temps était agréable, le week-end s’annonçait clément en dépit de cette guerre qui n’était pas prête de s’arrêter. Les écoliers étudiaient, leurs parents étaient au travail ou vaquaient à leur occupations habituelles. Lorsqu’ils entendirent le bruit vrombissant des avions anglais, il était déjà trop tard. Il pleuvait des bombes.
Même si les événements se sont déroulés il y a 80 ans, le drame est toujours bien présent dans l’esprit des morlaisiens. 

photograhie d'un immeuble éventré de la rue Ange de Guernisac
Le 79 rue Ange de Guernisac
Vestiges de la maison de l’assureur Floch après le bombardement. Seul survivant du drame, il perdra son épouse et sa fille de 22 ans, son employé, sa maison, son entreprise. 

Le drame de toute une ville

Ce 29 janvier 1943, douze bombardiers de la Royal Air Force ont pour mission de bombarder le viaduc de Morlaix, un pont ferroviaire stratégique, mais situé en plein cœur de la ville. À l’école voisine, 39 enfants et leur enseignante perdent la vie ce jour-là, sept petits corps sont toujours portés disparus une semaine après le drame. On organise les secours comme on peut : « Les petits blessés furent transportés dans le bâtiment voisin du Réseau breton, rue Armand Rousseau, ou encore au Café du Bon Coin, à l’angle de la rue Gambetta, face à la gare. Nombre de petits cadavres se retrouvèrent aussi dans un dortoir de l’école ou aux Chemins de fer économiques. ». raconte Michel Le Bars qui participe aux secours et au déblaiement de l’école.

Rentrée 1942
Les petits écoliers de Notre-Dame de Lourdes posent pour la traditionnelle photo de classe.

Le reste des blessés sont évacués au collège des jeunes filles au Château. L’hôpital général qui est réquisitionné par l’armée allemande lui est exclusivement réservée. 

Pourquoi avoir visé le viaduc ? 

À Brest, l’armée allemande est alors particulièrement efficace, avec ses sous-marins qui font du tort à la Flotte alliée.  Les trains roulent jours et nuits pour ravitailler la base de sous-marins. Ce 29 janvier 1943, en voulant rayer le viaduc de Morlaix de la carte, l’objectif des pilotes de la Royal Air Force est de mettre un terme au succès des U-Boot. Choix est fait de bombarder le viaduc de Morlaix et celui de Trevidy (route de Paris). 

Sur le versant est de la vallée, la rue Ange de Guernisac, de Ploujean, jusqu’au cimetière Saint-Charles sont sérieusement touchés : « Le 29 janvier dernier, lors du bombardement de Morlaix, mon agence fut complètement anéantie. Dans cette horrible tragédie, j’ai perdu ma femme, ma fille âgée de vingt-deux ans, mon commis, ensevelis sous les décombres de ma maison » écrit Félix Floch, assureur, à son journal professionnel. Il a tout perdu : sa famille, ses biens, son gagne-pain. Le numéro 79 de la rue Ange de Guernisac n’est plus qu’un amas de décombres.

Andrée Postic, alors jeune élève de l’école Saint-Melaine (qui n’existe plus aujourd’hui) raconte ses souvenirs dans son roman « Dédé mitrailleuse » : « On entra en classe et Mademoiselle Cuzon commença à nous donner la dictée « Promenade en forêt ». On avait à peine inscrit le titre que les sirènes mugirent, des avions passèrent très bas au-dessus de l’école, puis un bruit assourdissant s’en suivit ». 
Ce jour-là, elle perd sa grand-mère qui était en chemin pour le cimetière Saint-Charles, lui aussi sévèrement touché ; les bombes y font 3 morts et 4 blessés parmi ceux qui étaient à la veillée funèbre.

Dédé mitrailleuse

J’ai connu Dédé Postic il y a quelques années chez ma belle-mère. Elles vivaient dans le même quartier. Dédé était souvent invitée à passer pour les fêtes de famille, parfois, elle s’invitait pour prendre le café. Elle avait toujours des histoires extraordinaires à raconter sur Morlaix, sur sa vie à la Manu, sur son enfance. J’ai lu son livre « Dédé Mitrailleuse » il y a quelques années, c’est un ouvrage singulier, drôle et émouvant : et pourtant il traite de la période difficile de l’Occupation.

Le vendredi 29 janvier fut une merveilleuse journée ensoleillée, pure comme le sont parfois les belles journées d’hiver et le ciel était adorablement bleu.


Andrée Postic – Dédée Mitrailleuse. 1939-1945 – Pain blanc et années noires. Skol Vreizh
Juste après le bombardement
Ce document précieux permet de bien comprendre la nature des dégâts et les quartiers touchés par le bombardement. 

Les dégâts matériels

Comble du drame, le viaduc est finalement très épargné, à peine éventré. On le rafistole très rapidement. Moins de dix jours après le bombardement, une première locomotive roule de nouveau sur ses rails de fortune. Le trafic reprend normalement à peine un mois après les événements. 

La ville  ne souffre pas que de ses pertes humaines. Le 3 février 1943, « 20 immeubles étaient détruits ou considérés comme irréparables, 40, profondément endommagés, 90 avaient subis des dégâts qui restaient à apprécier », recensait « La Bretagne ». L’église Saint-Melaine est complètement éventrée en son bas côté gauche, la sacristie détruite, le presbytère très endommagé. Les funérailles sont célébrées dans les églises Saint-Mathieu et Saint-Martin puisqu’elles ont été épargnées. Rue Ange de Guernisac, trois maisons  sont entièrement détruites, les quartiers des Ursulines, du Créou, de Pénanrue, du Calvaire, du Carmel sont également bien touchés, au cimetière Saint-Charles, de nombreuses tombes éventrées. La Place Thiers (actuelle place des Otages) n’est pas épargnée : une bombe explose entre le kiosque et les maisons côté quai de Tréguier. 

Devoir de mémoire

Le dimanche 29 janvier 2024, devant la stèle de la chapelle Notre-Dame des Anges, les élus ont retrouvés les rescapés et les familles qui se souviennent, leurs enfants, leurs amis. Les petits enfants aujourd’hui scolarisés à Notre-Dame de Lourdes sont venus aussi pour déposer chacun une rose, 39 au total, une pour chaque enfant disparu ce jour-là. 

La cérémonie du 29 janvier 2023
Descendants, familles et amis, élus et écoliers se sont rassemblés pour cette cérémonie commémorant les 80 ans du bombardement. 

Ce devoir de mémoire, il est indispensable, pour ne pas oublier ceux qui ont souffert et dont les familles sont toujours marquées aujourd’hui. Marie-Françoise raconte que sa mère avait déposé son petit frère à l’école ce jour-là « Elle a porté le poids de la culpabilité toute sa vie durant. Quand elle a mis au monde son premier garçon, elle l’a appelé Jacques, comme son petit frère, c’est dire à quel point ça été traumatisant pour elle. Mon grand-père a participé à la construction de la chapelle, ensuite, je me souviens y être allée quand elle a été inaugurée, c’était important pour nos parents qu’on soit là ce jour-là, qu’on se souvienne que nos familles avaient beaucoup souffert de ce drame, et c’est aussi pour ça que je suis là aujourd’hui. »

Le cortège s’est ensuite déplacé place des Otages, pour honorer la mémoire des civils, morts et blessés : « C’est important de soutenir ces gestes de mémoire – explique Maryvonne Moal, présidente de l’association des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation du Finistère – même si notre association travaille spécifiquement au souvenir des victimes de la déportation, les dommages des conflits doivent rassembler tous ceux qui veillent à ce que jamais on n’oublie ; c’est donc vital pour nous d’être présents aujourd’hui. » 

La mémoire est un bien commun qui nous unit et joue un rôle vital dans la préservation de la paix, de la liberté, de la démocratie. C’est ce qui donne du sens à ces cérémonies. 

L’article rédigé par l’agence pour la rubrique « Patrimoine » du Morlaix Mag. Numéro de février 2024. Il a été enrichi de quelques informations complémentaires.

80 ans de la prise d’otages à Morlaix : la peinture comme témoignage

Ci-dessus : Louis Le Gros
La sélection place Thiers (1985-1987)
Huile sur panneau de bois
Coll. Musée de Morlaix

En 1940, la France s’apprête à vivre ses heures les plus noires. Philippe Pétain et son gouvernement entrent dans la collaboration, acceptant l’inacceptable, se lier activement au régime nazi. La France est peu à peu envahie par l’armée allemande, les villes et villages occupés, les habitants parfois chassés de leur maison réquisitionnée. Morlaix n’est pas épargnée. La guerre produit naturellement son lot de collaborateurs et en réaction, de résistants. 

Louis Le Gros
La rafle (1985-1987)
Huile sur panneau de bois – Coll. Musée de Morlaix

Ce soir du 24 décembre 1943, la vigilance de l’occupant s’est peut-être relâchée. Alors que les soldats réveillonnent à la Soldatenheim* dans les salons Quiviger (rue de Brest), une grenade est lancée depuis la rue Gambetta et explose au milieu de la salle de réception, faisant 6 blessés. Les représailles ne se font pas attendre. Le 26 décembre, l’armée allemande procède à 500 arrestations d’hommes valides âgés de 15 à 40 ans. Parmi eux, 60 hommes sont désignés au hasard. Ils seront déportés, certains ne reviendront jamais.Si cette commémoration a lieu tous les ans, elle prend plus de sens encore aujourd’hui : « Il est absolument insoutenable de s’en prendre aux populations civiles, et les événements que nous nous apprêtons à commémorer résonnent tristement avec l’actualité nationale et internationale. Les commémorations sont vitales, elles participent à notre devoir commun de mémoire, à une lutte collective contre l’obscurantisme et la barbarie », explique Jean-Paul Vermot, maire de Morlaix. 

*Foyer du soldat », était un établissement réservé à la détente des hommes de troupe de la Wehrmacht dans les territoires occupés.

Un projet éducatif porté par le musée de Morlaix 

Le Musée de Morlaix a reçu de la famille d’un des otages, Louis Le gros, un fonds de dessins et peintures qu’il a réalisés pour témoigner de son histoire. Le Musée a organisé un projet éducatif autour de ces fonds à l’occasion du 80e anniversaire. Les fonds Le Gros ont une valeur artistique indéniable, mais constituent aussi un témoignage précieux de son arrestation, de celles de ses camarades, de la déportation. Ces oeuvres, des dessins réalisés en captivité et miraculeusement sauvés, ainsi que des peintures réalisées a posteriori — racontent l’arrestation, le rassemblement au camp d’aviation de Ploujean, le voyage éprouvant vers le camp de Compiègne, puis, celui, encore plus dur, vers Weimar à la lisière de laquelle se situe le camp de Buchenwald. Ce projet, emmené par Julien Thomas, chargé de la médiation du musée de Morlaix, vise à amener les collégiens à porter une réflexion sur des événements historiques d’ampleur nationale (la collaboration, la Résistance et ses conséquences, la déportation, l’internement), par le biais d’un événement local (l’attentat de la rue Gambetta, les représailles et arrestations des otages, leur déportation dans les camps de concentration allemands réservés aux opposants politiques). Les élèves arpentent les rues de Morlaix, l’on s’arrête, reproduction d’une oeuvre de Louis Le Gros à l’appui, devant les lieux de mémoire : la rue de Brest, la rue Carnot, l’appartement de la Grand Rue, la place Thiers, (renommée après guerre « place des Otages »), la rampe Saint-Nicolas, etc. 

« L’idée était de se rendre sur des lieux que nos élèves associent à des moments heureux et de confronter ces rues, ces places, à des événements sombres d’une histoire qui est commune à tous les Morlaisiens. C’est une manière de s’approprier l’histoire, de la mettre dans un contexte que les élèves connaissent » explique Julia Thatje, professeur-documentaliste au collège du Château.

Parallèlement, les élèves se sont rendus aux archives départementales du Finistère. Chaque élève s’est vu attribuer un nom de déporté pour faire des recherches et reconstituer tous ensemble les événements de 1943 : « Ça les amène a prendre goût à la recherche et à l’histoire, à apprendre aussi à recouper les informations, à constater que parfois, elles ne sont pas les mêmes, à porter une réflexion sur la manière dont est traitée l’information, autrefois comme aujourd’hui. Cette démarche fait dialoguer le présent et le passé », précise Julia.De ce travail pédagogique, mené conjointement par le musée et les enseignants, un film a été réalisé. Ce recueil d’images participe aussi au travail de devoir de mémoire, comme un outil d’archive. Il sera projeté le 26 janvier à la mairie, tous les élèves seront conviés à cet événement.

L’œuvre de Louis Le Gros, le serment de Buchenwald

Quelques jours après la libération du camp, le 19 avril 1945, les 21 000 survivants se réunissent sur la place d’appel et font le Serment que leurs camarades morts en déportation ne seront jamais oubliés. À chacun sa manière de perpétrer le souvenir ; pour Jorge Semprun, c’est « L’Écriture ou la vie », pour Elie Wiesel, « La Nuit », pour d’autres, c’est par la peinture, Boris Taslitzky, Zoran Mušič ou Louis Le Gros.

L’arbre de Goethe
Weimar, cité culturelle, où Goethe et Schiller écrivirent, où Bach et Liszt composèrent, où Gropius fonda le Bauhaus, fut aussi le théâtre d’une barbarie inimaginable : car c’est dans cette ville, sur la colline de l’Ettersberg que le camp de Buchenwald fut érigé en 1937. En son sein, un symbole très fort, un chêne, celui au pied duquel Goethe et Schiller se retrouvaient pour deviser. Les prisonniers en parlaient beaucoup, cet arbre constituait pour nombre d’entre eux, une sorte de symbole de liberté. Ils avaient imaginés que lorsque l’arbre mourrait, le régime nazi disparaîtrait avec lui. Au moment des bombardements américains du 24 août 1944, le chêne s’embrasa. Les détenus s’empressèrent d’en récupérer un morceau, précieux témoignage de ces années de souffrance. Louis Le Gros y sculpta deux bas-reliefs, l’un de la vierge, conservé au musée Patrimoine(s) de l’Ain, l’autre du Christ, récemment donné par la famille au musée de Morlaix. Ces pièces sont extrêmement touchantes et constituent un symbole fort où la liberté retrouvée répond, comme une victoire, au souvenir de la barbarie. 

Article rédigé pour le Morlaix Mag . Décembre 2023

Acquisition de nouvelles œuvres au Musée de Morlaix


Trois œuvres de Charles de Kergariou viennent enrichir les collections du Musée de Morlaix. Nous sommes allés à la rencontre de Mélanie Thomas, directrice du musée, qui nous explique toutes les étapes et l’intérêt d’une démarche d’acquisition en général, et de celle-ci en particulier. 


Comment peut-on savoir que des œuvres vont être mises en vente aux enchères ? 

Tous les musées ont leur réseau, et on communique beaucoup sur ces choses là ! Dans le cas de ces œuvres, c’est l’association « Les amis de Kerga » qui nous a alertés. Etienne de Kergariou, descendant du peintre en est membre actif et il est très attentif au marché de l’art, en particulier quand cela concerne les œuvres de son aïeul ! 

Mais alors, comment ça se passe une fois que vous prenez connaissance de l’information ? 


À ce moment-là, on travaille sur un dossier que l’on remet à la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) ; ce dossier doit démontrer l’intérêt de cette acquisition au regard des collections existantes et du projet culturel et scientifique du musée. Ce qui est assez simple dans le cas de Kerga ! 

Et donc, en quoi ces acquisitions des œuvres de Kerga sont-elles pertinentes ? 


D’abord parce que Charles de Kergariou est un peintre important dans la région : il est connu en particulier pour ses décors monumentaux dans les hôtels et établissements de la région : on retient souvent la fresque « Partie de voile devant le château du Laber » réalisée au sanatorium de Perharidy à Roscoff entre 1933 et 1934, parce qu’elle est assez connue et qu’elle est souvent utilisée dans les ouvrages de valorisation du patrimoine en Pays de Morlaix. Également, parce que c’est un artiste complet : il est aussi peintre que graphiste, même si ce terme est plus contemporain. C’est assez singulier chez lui, cette facilité à passer de la publicité au décor, de la peinture à la gravure. Ses compositions sont exceptionnelles, il traite la couleur avec virtuosité. Enfin, parce que Kerga est – à notre grand regret – encore insuffisamment représenté au musée : avant cette acquisition, nous ne possédions qu’une seule œuvre, une plaque de linoléum gravée, très intéressante, avec notamment un travail de typographie qui rappelle les Seiz Breur. Il était temps donc, de faire quelque-chose ! 

Exceptionnel travail de typographie, très emprunt au mouvement Art Déco, réalisé par Charles de Kergariou.

D’accord, mais puisque les œuvres sont vendues aux enchères, elles peuvent êtres acquises par un particulier ? C’est tout de même risqué, non ? 


On peut dire qu’il y a un certain suspens, oui ! Et ça peut arriver qu’une œuvre nous passe sous le nez, si l’enveloppe budgétaire qu’on s’était fixée est dépassée par les enchères. Mais on a la possibilité, via la DRAC, d’exercer un droit de préemption. En particulier quand l’enjeu est important pour l’établissement qui souhaite acquérir une œuvre. 

Ça ne fait pas scandale dans une salle des ventes ? Il y a forcément un déçu quand ça arrive, non ? 

Je n’en ai pas encore faire l’expérience, mais ma collègue du Musée Bigouden de Pont-Labbé a connu ça : elle s’attendait à être huée au moment fatidique de la préemption, mais en réalité, la salle l’a applaudie chaudement. C’est assez rassurant que le public ait conscience de la nécessité d’une conservation dans un musée. Ça assure la pérennité d’une oeuvre, parce que les techniques de conservation sont au point, parce qu’il y a des professionnels qui en prennent soin. Ce n’est pas rien ! 

La Résistance à Morlaix

En juin 1940, l’armistice signée avec l’Allemagne déclenche l’occupation de la zone nord de la France. Le 19 juin, les Morlaisiens assistent avec consternation à l’arrivée des troupes allemandes. Les lieux publics sont occupés, les maisons réquisitionnées.  Le 24 juin, la croix gammée est hissée sur la façade de l’hôtel de ville. 

Pour les habitants, c’est le début des restrictions alimentaires, du couvre-feu, d’une perte de liberté qui vont mener aux premiers actes de résistance.

Frustrations et humiliations

Dès l’été 1940, les magasins sont vidés par l’armée allemande. Pour les Morlaisiens, le lait, le pain, le vin, le charbon et le bois deviennent difficile à trouver. L’occupant les a réquisitionnés pour nourrir et chauffer son armée. Les frustrations, l’humiliation de l’armistice vont mener aux premiers actes de résistance passive : quelques groupes organisés, encore peu nombreux, affichent sur les murs de la ville leurs messages manuscrits « À bas les traitres de Vichy ! », « Dans le temps, je gardais les vaches, maintenant, ce sont les vaches qui me gardent », distribuent dans les boites aux lettres des tracts incitant à la résistance. La Kommandantur menace de représailles.

La Résistance s’active

Dès 1940, sur les côtes de la baie, les réseaux d’évasion se mettent en place. Les personnes qui quittent la région constituent les prémices des FFL (Forces Françaises Libres). Morlaix et sa région fournissent un nombre important de volontaires. 

La même année, le mouvement de résistance Libération Nord se met en place. À sa tête, pour l’arrondissement de Morlaix, un médecin, le Docteur Léon Le Janne (commandant Noël), chargé du recrutement de volontaires. C’est François Tanguy Prigent (futur ministre du gouvernement de de Gaulle à la Libération) qui en sera le responsable pour la Bretagne. 

Les actions se multiplient avec leur lot d’arrestations, d’exécutions et de déportations. En 1942, la prison de Créac’h Joly (au n°6 de la rue du même nom) est pleine à craquer : 350 prisonniers sont entassés entre ses murs ; 299 d’entre-eux sont des résistants. 

Les collégiens de Morlaix figurent parmi les résistants les plus actifs. 
© Bibliothèque patrimoniale Les Amours Jaunes

Au début de l’été 1942, les FTP (Francs-tireurs et partisans) s’organisent autour de leurs chefs, « William » et « Bob », mettent en place l’impression et la distribution de tracts clandestins, cachent une famille juive à Saint-Sauveur et développent une activité importante dans les monts d’Arrée. William et Bob seront arrêtés et exécutés. Eugène Le Luc en reprendra la direction. 

L’attentat de la rue de Brest

Le 24 décembre 1943 marque l’histoire de la résistance morlaisienne. Une grenade, lancée depuis la rue Gambetta sur la Soldatenheim rue de Brest, fait dix-sept blessés côté allemand. Les représailles sont terribles : les soldats forcent les maisons en quête de coupables et prennent en otages 60 hommes. Ils seront embarqués dans des wagons à bestiaux et déportés en Allemagne. Le peintre Louis Le Gros, tiendra le coup grâce à sa peinture, précieux témoignage* des conditions de détention au camp de Buchenwald. 

La fin de la guerre

Le général de Gaulle en visite à Morlaix, le 21 juillet 1945. Cette visite témoigne de l’importance des faits de résistance dans la région de Morlaix. Derrière lui, Tanguy Prigent, devenu son ministre de l’agriculture. 
© Bibliothèque patrimoniale Les Amours Jaunes

À partir du printemps 1944, les maquis de résistants s’organisent. En avril, un groupe de miliciens est attaqué près des Halles en plein centre ville. Les actions s’accélèrent à partir du débarquement des Alliés en Normandie : renseignements, infiltrations d’aviateurs et d’agents alliés se précisent, des armes parachutées sont récupérées aux alentours de Morlaix. On se prépare aux combats de la Libération.

Les résistants de Morlaix et des environs apporteront aux alliés une aide précieuse. 

* Il existe un catalogue de l’exposition de 2014 qu’il doit être assez facile de se procurer à la bibliothèque Les Ailes du Temps.

Le STO (Service du travail obligatoire) 
C’est surtout à partir du printemps 1943 que la région morlaisienne voit naître les premiers maquis. Sur les 4141 hommes convoqués par les autorités allemandes, seuls 2% répondent à l’appel pour aller travailler en Allemagne. Le nombre de ces réfractaires du STO,  contraints de rentrer dans une vie de clandestinité, explique l’importance des maquis dans la région de Morlaix. 

Article rédigé pour le Morlaix Mag

Éducation artistique et culturelle au collège Saint-Pol Roux de Brest

En novembre 2020, l’agence a été choisie par le service patrimoine de la ville de Brest pour un travail conjoint avec Pauline Lavergne (Atiz, agence d’ingénierie culturelle) et Marie-Laure Pichon (Cap Culture Patrimoine) pour la réalisation d’un nouveau musée du Brest d’avant-guerre, dans la Tour Tanguy.
Nous avions été sélectionnées pour nos compétences complémentaires :
> Atiz : scénographie, ingénierie culturelle
> Cap Culture Patrimoine : assistance à maîtrise d’ouvrage sur le volet « démarche participative »
> Violaine Pierret : muséographie, rédaction des contenus et mise en forme graphique de l’ensemble des supports de médiation.

En cours de route, le volet participatif a évolué : avec l’implication des élèves de cinquième du collège Saint-Pol Roux et de Gaëlle Le Lay, professeur relais patrimoine, enseignante en histoire et géographie. La ville a soutenu le projet d’atelier de création artistique et m’a confié cette mission pédagogique et artistique.

Déroulé du projet

  • Deux journées d’échanges avec les habitants de Brest les 8 et 10 mai 2021.
  • Visite de la tour Tanguy par la classe de Gaëlle Le Lay, le 20 mai.
  • Atelier de réflexion des élèves autour de la future scénographie de la tour le 2 juin.
  • Journée de création d’un diorama le 3 juin au collège.

Les objectifs de l’atelier

  • Appuyer et conclure la réflexion menée par les élèves
  • Sensibiliser à la conservation du patrimoine par la création artistique
  • Enrichir la culture patrimoniale et artistique des élèves
  • Donner aux élèves la possibilité d’être acteurs de leur ville en laissant la trace d’une œuvre artistique collective
  • Rendre hommage à un artiste brestois, prendre conscience de la valeur culturelle et patrimoniale de son œuvre.

Notre mission sur cette journée

  • Concevoir le projet de A à Z : définition des objectifs, des outils, des inspirations artistiques et patrimoniales, du plan de travail pour la journée.
  • Présenter le fil conducteur, la thématique et les objectifs plastiques de l’œuvre.
  • Gérer le temps pour que l’œuvre soit achevée dans les temps impartis.
  • Définir des outils de création, les techniques pour un rendu plastique final harmonisé.

La méthode proposée par l’agence

  • Proposer des documents de base : des silhouettes de personnages en mouvement à peine ébauchées pour pouvoir les compléter de costumes.
  • Mettre à disposition des planches de costumes d’époques variées comme documents scientifiques.
  • Mettre à disposition des documents d’œuvres dont les qualités plastiques seront recherchées : aplats de couleur, géométrie, organisation de l’espace, composition. Nous avons choisi de présenter le travail de l’illustrateur Vincent Godeau, dont l’œuvre est largement inspirée de la ville. Nous y avons vu une analogie évidente avec les dioramas de Sévellec.
  • Proposer un support solide et souple à la fois (le papier plastifié) et une technique adaptée pour travailler par dessus (le Posca)
  • Vérifier préalablement la faisabilité du projet avec un élève du même âge et en faire la démonstration (ci-dessous).
Un exemple de planche d’illustration de Vincent Godeau

Un diorama de Jim Sévellec : scènes de vie en ébullition, impression de mouvement permanent. Les dioramas de Jim Sévellec sont « vivants » et les élèves devront respecter ce mode de représentation.
Extrait du diorama réalisé par les élèves.

Survol de l’œuvre dans son ensemble.


Merci aux élèves qui ont été formidables, impliqués, talentueux, courageux, et à Gaëlle Le Lay et Bruno Robert, les enseignants, qui ont encadré avec moi cette journée passionnante !