L’Odet d’autrefois, axe de transport de marchandises

Jusqu’à la seconde guerre mondiale, l’Odet est un espace de travail :
on achemine jusqu’à Quimper, du vin importé de Nantes ou de Bordeaux, du sel venu de Guérande. Quimper exporte des céréales produites dans les communes de la Cornouaille méridionale. 
Le fleuve est un véritable atout pour transporter des marchandises car les routes sont rares et les chemins existants sont difficilement praticables. 


Néanmoins, la navigation sur l’Odet n’est pas simple. En aval de Quimper, l’Odet maritime, forme à marée haute un véritable bras de mer découvrant à marée basse de larges grèves vaseuses ; le manque d’eau par endroit nécessite de s’y aventurer uniquement à marée haute. Les manœuvres sous voile sont difficiles en particulier dans les coudes de la rivière. 
Certains navires préfèrent éviter de remonter la rivière en restant au mouillage à Bénodet ou à mi-rivière. Une flottille de gabares prend le relais pour la suite de la navigation : la dimension relativement modeste de ces bateaux permet
une navigation plus sûre.
Toutefois, les quais de l’Odet à Quimper donnent à voir une armée de voiliers de travail : lougres, goélettes, dundees, chasse-marée… 
On y transporte toutes sortes de marchandises, y compris du sable et du maërl.

Vue du port de Quimper, prise de l’aval.
Vers 1857 . Eugène Boudin (1824 – 1898) . Coll. Musée des Beaux-Arts de Quimper

Sabliers de l’Odet 

Jusque dans les années 50, le sable est exploité directement sur la grève, à marée basse. Le bateau est alors couché sur le côté, les « pêcheurs de sable » le remplissent à la pelle. La tâche est pénible. Quand la chaloupe est pleine, ils remontent à bord et n’ont plus qu’à attendre que la mer soit haute pour acheminer le sable vers Quimper. Le sable servira à fabriquer des mortiers pour la construction, puis plus tardivement, du béton. 

Les « pêcheurs de sables » chargent leur bateau à la main à Sainte-Marine.
Ils remonteront l’Odet pour déverser leur cargaison sur les cales de la rivière et les quais de Quimper.
Coll. privée. Photographie d’André Dauchez aux alentours de 1900.

Le dernier sablier de l’Odet : le Penfret

Mis en service en 1987, le Penfret a été conçu pour extraire du maërl et du sable en l’aspirant des fonds de l’estuaire de la Loire, particulièrement riches. Le maërl a longtemps été exploité dans l’archipel des Glénan : mélange de sable et de débris d’une algue très calcaire, on l’utilisait autrefois pour enrichir en calcium les terres cultivables.
À partir de 2010, l’exploitation de maërl a été interdite en France car elle menaçait toute une biodiversité marine. 

Le Penfret
Le sablier Penfret à quai au port du Corniguel à Quimper, mai 2014.
(Archives départementales du Finistère)

L’attrait de la rivière

Les rives de l’Odet sont jalonnées de châteaux et manoirs, témoins de l’attrait exercé par les bords de la  rivière. La noblesse et la bourgeoisie aisées du XVIIIe et XIXe siècles y font construire une résidence secondaire pour échapper à l’effervescence de Quimper le temps d’un week-end ou de vacances estivales. 

L’Odet et le château de Kerambleiz 
Plomelin – Fonds Godineau (Archives départementales du Finistère)

Ces élégantes bâtisses  participent à l’attrait touristique de l’Odet. 
En 1885, le Plongeur transporte des passagers de Quimper à Bénodet. Le Terfel, première vedette équipée d’un moteur à pétrole (construite en 1905) peut transporter une centaine de passagers. Elle ne fonctionne alors que pendant les périodes estivales. Hors saison, elle est utilisée comme remorqueur, apportant son aide aux goélettes et sabliers qui remontent la rivière. 

Le Terfel prêt pour le départ sur les quais de l’Odet à Quimper 

En 1929, la capacité de Reine de l’Odet démontre une activité touristique de plus en plus dense :  sa capacité est de 160 voyageurs. 

La station de sauvetage de Primel et son canot

Histoire d’un édifice disparu

En 1902, la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés (ancêtre de la SNSM) annonce sa décision d’implanter à Primel la 102e station de sauvetage de France : 36 ans après celle de Roscoff, 8 ans après celle de l’île de Batz.

L’histoire paraît fluide, racontée de cette manière, mais en réalité,  l’emplacement de cette station semble être le fruit de réflexions mouvementées. 

À la fin du XIXe siècle, le trafic commercial est considérable en baie de Morlaix et on a bien conscience qu’entre Roscoff et Perros, il manque une structure de sauvetage : entre 1888 et 1895, 9 navires font naufrage autour de la pointe de Primel. Néanmoins, le choix de son emplacement n’est pas facile à décider : 

Les archives (1883) évoquent Locquirec, finalement abandonné, jugé trop éloigné de l’entrée du port de Morlaix, en plus d’être particulièrement exposé aux vents de nord. Le petit port de Térénez est également mentionné, il a l’avantage d’être bien abrité par tout temps.

L’un des rares clichés de la station de sauvetage en 1927. On devine la cale de mise à l’eau qui semble bien courte sur cette photographie. 

Mais finalement, en 1895,  c’est à Primel que l’on décide d’installer la Station de sauvetage et plus précisément sur le site de Beg an Diben. L’endroit semble idéal pour y construire une cale de dimension modérée « d’un faible cubage de maçonnerie et donc d’un prix relativement peu élévé » et pour y implanter la maison abri.

La cale mesure 38 mètres de long et 3,42 mètres de large (entre les murettes garde-roues).  À l’époque, on pense que l’emplacement choisi permettra une mise à l’eau relativement aisée. En réalité, la remontée dans son abri du Docteur Comme, le canot de la station, sera souvent bien difficile. Elle nécessitera parfois même l’intervention d’un attelage de deux chevaux.


Le Docteur Comme, canot de sauvetage de la station de Primel

Le projet de Station est complété par la construction d’un canot de 10,10 mètres. Dès 1902, Le Docteur Comme prend place dans l’abri de la Station. Il s’agit d’un canot de 10 avirons : les bateaux de sauvetage ne sont pas encore motorisés en ce début de XXe siècle.

Étonnamment, et de manière paradoxale avec les textes de projets qui évoquent la nécessité d’implanter une nouvelle Station en baie de Morlaix, ce n’est que le 27 décembre 1910, soit huit ans après la mise en service de la Station, que le Docteur Comme effectue son premier sauvetage. On n’en sait d’ailleurs que peu de choses si ce n’est que le navire en péril était un vapeur baptisé le Saint André.

Le Docteur Comme est mis à l’eau et sorti de l’eau grâce à un chariot à trois roues, relativement mobile et un système de palans. Ici, ce sont les marins affectés au Docteur Comme, mais ils sont parfois aussi 
pêcheurs de métiers et donc souvent en mer. Les hommes peuvent être en nombre insuffisant pour la mise à l’eau ou le retour dans l’abri. Les habitants de Primel, qu’ils soient marins ou non, viennent alors prêter main forte à l’équipage : le canot de sauvetage est une fierté locale qu’on se doit de protéger.

Il faut compter environ une demi-heure pour mettre à l’eau le canot, à en juger par les écrits laissés en avril 1922 par Vincent Rolland, patron du canot de sauvetage de Primel  : « Le 17, vers neuf heures du matin, sur un signal de détresse fait par le sémaphore, je m’empressais de me rendre à la station. Je hissais le pavillon en berne, et l’équipage répondant à mon appel fit sortir le canot qui était à l’eau à 9h30. ».

Au total, le Docteur Comme effectuera onze sorties de sauvetage, la plupart dans des conditions difficiles.

Le Docteur Comme semble trouver d’autres usages : ici, sans doute à l’occasion d’un Pardon.

Le Docteur Comme est racheté en août 1950 par Vincent Rolland puis vendu à un chantier ostréicole. Il a été modifié pour les besoins du métier. Sa carcasse est restée longtemps visible à Kerarmel (Plouezoc’h). En 2022, le canot est découpé et les morceaux mis à disposition d’artistes qui réaliseront des œuvres sur ces supports. Elles seront vendues au profit de la SNSM.

L’abri sera quant à lui démonté. Le bois,  transporté sur un chaland à la godille jusqu’à l’anse du Diben, sera réutilisé dans la construction de la maison des Rolland, actuelle Maison de la Mer. 


Un canot construit au Havre pour de nombreuses stations de sauvetage

Les chantiers Augustin Normand au Havre ont construit un grand nombre de canots sur le même modèle que le Docteur Comme. Ici l’Amiral Courbet (1875) à Cayeux-sur-Mer (Picardie) et un autre canot identique au Cap-Ferret (Gironde).

Le canot de sauvetage du Cap-Ferret (Gironde) – également construit au Havre – devant son abri.
Une photographie d’un de ces canots sous voile permet de se rendre compte du gréement. 

Fiche technique du Docteur Comme

Longueur : 10,10 mètres
Largeur : 2,27 mètres
Équipage : 12 hommes
Patron : Vincent Rolland
Construction : Chantiers Augustin Normand (Le Havre)
Date de construction : 1901
Livraison à la Station de Primel :  mai 1902

Le chantier naval Jézéquel Entreprise du patrimoine vivant

Le Kein Vor II, le J25 du « Marquis », construit au Chantier ©Violaine Pierret – Carantec – 2017


Les entreprises, leur histoire, leurs acteurs participent à l’attractivité du territoire au même titre que le tourisme, la qualité de vie, le tissu associatif, le patrimoine…
J’ai souvent évoqué, dans mes articles et dans la présentation de ce site, la nécessité d’aborder le territoire sous l’angle de la globalité.
Au Chantier Naval Jézéquel, la connexion entre économie et patrimoine est évidente.


J’ai une affection particulière pour la famille Jézéquel qui m’a confié à plusieurs reprises le travail de communication de cette entreprise familiale de renom. Le chantier naval Jézéquel a bâti sa réputation sur un savoir-faire transmis de père en fils depuis quatre générations. Il est aujourd’hui situé en bordure de rivière à Saint-François (Saint-Martin-des-Champs, près de Morlaix), mais il est reconnu comme un chantier carantécois, car c’est dans ce petit port du Nord Finistère que l’essentiel de son histoire s’est jouée.
Lorsque j’ai travaillé sur la réalisation du site web du chantier, j’ai épluché avec Françoise Jézéquel un carton rempli de trésors correspondant à un siècle d’histoire, une ancienneté qui a valut au chantier d’obtenir en 2017 le Label Entreprises du Patrimoine Vivant.

Qu’est-ce que l’EPV ?

Le label d’État Entreprise du Patrimoine Vivant est la seule distinction qui vient récompenser et encourager l’excellence française, reposant sur la maîtrise avancée de savoir-faire rares, renommés ou ancestraux.
Le label est né en 2005, les premières labellisations ont été attribuées en 2006. En France, 1 400 entreprises portent les couleurs de ce label.*

*à découvrir sur le blog, mon reportage sur la maison Chancerelle, sardinerie de Douarnenez, qui a obtenu le label EPV en juillet 2019

Un siècle de savoir-faire au Chantier Jézéquel

L’histoire de ce chantier commence pendant la guerre de 14-18, très loin des côtes finistériennes, au milieu de la mer Égée, sur l’île de Corfou (en Grèce). Alain Jézéquel s’est engagé dans l’armée, il est charpentier ; on l’affecte à la réparation des bateaux. Il y rencontre Eugène Moguérou, un Carantécois. A la fin de la guerre, ils sont amis, ils partagent la même passion de la mer et des bateaux, il décident de s’associer.

Du bateau à usage professionnel au bateau de loisir

La pêche et le transport légumier sont des préoccupations vitales en ce premier tiers du XXe siècle. Le savoir-faire du chantier s’oriente essentiellement vers la construction à usage professionnel. La voile de plaisance se développe en baie de Morlaix ; Eugène Moguérou décide d’orienter son chantier vers la construction de voiliers, un choix qui sera superbement développé par la famille Jézéquel.

Carantec – Le Port 1927 – Le hangar qui fait partie aujoud’hui du paysage n’existe pas encore mais on devine la silhouette d’une coque en construction.

D’Alain à Jean-Marie, quatre générations de constructeurs

Au chantier débute une ère de construction navale de loisirs. Brix, Dervin, Sergent, Cornu, ces architectes navals de renom verront leurs plans se concrétiser dans ce petit chantier carantécois. Alain (première génération) a depuis déjà longtemps transmis la fièvre à son fils Georges. En 1937, Georges (seconde génération) commence son apprentissage ; il reprend les rênes du chantier en 1952. Lui aussi transmet à son fils Alain (troisième génération) la passion de la construction navale. Après l’école, Alain s’initie – sous l’œil attentif de son père – à ses premiers apprentissages : calfatage sur des caisses de bois, pose des rondelles sur les pointes de rivets, puis participe de plus en plus activement aux chantiers. Il construit avec son père le cotre Bonne Espérance, dessiné par son frère Olivier, puis des unités de la série Prima, des Dauphin.
En 1985, il reprend le chantier et construit des canots de 4,10 m, des Cat Boat, des Cormoran, des Bernache etc

La famille Jézéquel est une famille de marins, une tribu de passionnés. Jean-Marie (quatrième génération), né en 1986, navigue très jeune avec son grand-père et son père. Naturellement, il s’oriente vers le métier, en passant d’abord un CAP filière bois et matériaux associés, et en faisant parallèlement son apprentissage au chantier familial.

2017 : le chantier obtient le label Entreprise du Patrimoine Vivant

Jean-Marie reprend l’entreprise en 2016 et monte un dossier de demande de labellisation EPV. Un an plus tard, l’exception du savoir-faire du chantier est reconnue.

« C’est une vraie reconnaissance, une marque de qualité et un gage de pérennité dans ce métier qui devient rare. J’en suis très heureux, c’est une grande satisfaction sur un plan professionnel bien sûr, mais aussi familial. »

Sans nul doute, le Chantier Jézéquel produit des unités d’exception. La qualité est restée la même, le métier a su rester authentique, la passion et le savoir-faire ont traversé les décennies, avec le même soin, la même excellence.
Le chantier fait d’ailleurs l’objet de nombreux articles dans la revue spécialisée dans le patrimoine maritime Le Chasse Marée.

A quoi sert cette labellisation ?

Faire partie des EPV, c’est aussi évidemment participer à la conservation du Patrimoine, voire des Monuments Historiques. Le Chantier Naval Jézéquel s’est vu confier à plusieurs reprises la restauration de navires classés. Histoire singulière, Phébus, construit en 1932 au chantier, y revient en 2005 dans un état dramatique :

« Restaurer un bateau classé Monuments Historiques nécessite un savoir-faire ancestral, et une connaissance infaillible de la construction navale traditionnelle. Quand on restaure un voilier classé, on a une grosse responsabilité ! Et c’est sans aucun doute cette passation de savoir-faire qui permet tout cela !. »

1932, Phébus, dessiné par l’architecte Victor Brix, sort du Chantier. © Archives familiales
Retour au Chantier en 2005 : trois ans de travail seront nécessaires à sa remise en état. © Archives familiales
2005, les dégâts sont considérables.
© Archives familiales
Trois ans et quelques milliers d’heures de travail plus tard, Phébus retrouve son élément. Il est remis à l’eau en 2008.
© Archives familiales

Vers la continuité

C’est aussi ce savoir-faire d’exception qui permet aujourd’hui la mise en chantier d’un nouveau Cormoran, dessiné par Olivier Jézéquel qui devrait pouvoir naviguer au printemps 2020.
Cette construction originale et néanmoins approuvée par la jauge a d’ailleurs fait l’objet d’un article dans la revue Chasse-Marée.