Le Vitra Campus est un lieu unique qu’il faut absolument aller voir si l’on s’intéresse à l’architecture et au design : ici, les plus grands architectes (Jean Prouvé, Frank Gehry, Tadao Ando, Zaha Hadid…) côtoient les plus grands noms du design d’objet (Charles et Ray Eames, Alvar Aalto, Jasper Morrison, Bouroullec, etc.). Ce mélange de disciplines, cette effervescence de formes et de genres est à voir au moins une fois dans sa vie.
Mais tout d’abord, Vitra, c’est quoi ?
Dans le jargon du design, on peut définir Vitra comme un éditeur. C’est assez comparable à un éditeur de livres, le principe est à peu près le même : il sélectionne ou commande une œuvre (en l’occurrence à un designer), et s’engage à la produire en série et à la distribuer. Il peut aussi racheter les droits d’édition, ce qui l’autorise à produire et vendre un objet.
Les débuts d’un géant du design
Vitra est fondée à Bâle (Suisse) en 1937 par Willi Fehlbaum. Après-guerre, le développement rapide de l’entreprise l’amène à agrandir ses espaces de production. Elle s’installe en 1950 à Weil am Rhein, en Allemagne, à deux pas des frontières entre la Suisse, la France et l’Allemagne.
Trois ans plus tard, lors d’un voyage à New York, Willi Fehlbaum découvre le travail de Ray et Charles Eames. Il est conquis (et déterminé) : en 1957, il obtient une licence de production de la collection d’Hermann Miller, qui inclut bon nombre des mobiliers du couple Eames.
Hermann Miller
Entreprise américaine de mobilier de bureau qui collabore avec de grands designers comme Alvar Aalto ou Ray et Charles Eames. Hermann Miller va produire notamment la fameuse Eames Lounge Chair, dessinée en 1945 (ci-contre).

L’incendie de 1981
1981 marque un véritable tournant dans la vie de l’entreprise. Un incendie ravage le site de Weil am Rhein. Ce drame amène la famille Fehlbaum à repenser le site. L’idée du « Vitra factory campus » émerge petit à petit : toujours lieu de production, mais aussi lieu de partage et d’expositions, l’espace accueillera plusieurs édifices. Le projet est ambitieux. Très ambitieux.
Parallèlement, Vitra obtient en 1988 l’autorisation de produire la totalité de la collection Eames et fait l’acquisition d’une partie non négligeable des archives, prototypes en trois dimensions (les vrais objets !) du couple Eames. On peut d’ailleurs les apercevoir dans le « Schaudepot » :

Le Schaudepot permet d’apercevoir les prototypes de Charles et Ray Eames ; mais juste de les apercevoir. Petite déception : on ne peut déambuler dans ces allées, ce qui explique le reflet sur cette photo, prise depuis l’extérieur de cet espace qu’on ne peut regarder qu’au travers d’une vitre.

Reconstitution du bureau de Charles Eames, (avec les vrais objets du designer) dans le bâtiment du Schaudepot. En allemand, le verbe schauen signifie « regarder ».
Les plus grands noms de l’architecture pour le campus Vitra
Frank Gehry pour le Vitra Design Museum et la seconde halle de production (1989)
On a bien compris que la famille Fehlbaum est ambitieuse et voit grand : elle fait appel à Frank Gehry qui signe un édifice (ouvert en 1989) que l’on reconnaît immédiatement : son style est inimitable. Si vous ne connaissez pas, je vous invite à découvrir ici quelques-unes de ses architectures les plus emblématiques. Quand je regarde ses œuvres, j’imagine une sorte de jeu de boîtes, empilées de manière inattendue, déformées, jamais vraiment régulières, qui paraissent irrationnelles. Gehry casse les codes, il ose. C’est la surprise à chaque découverte.
Ce bâtiment accueille le Vitra Design Museum : centre de recherche, lieu d’expositions. Il imagine également l’architecture de la première halle de production, à priori rectangulaire, à l’exception d’une multitude de petites formes ajoutées sur la périphérie du bâtiment.

Le Vitra Design Museum dessiné par Frank Gehry
Zaha Hadid pour la Fire Station (1993)
En 1993, la Fire Station est opérationnelle. Cette caserne de pompier imaginée par l’architecte Zaha Hadid pour Vitra se constitue d’éléments anguleux en pointes de béton brut. La Fire Station, considérée comme le premier projet d’envergure de Zaha Hadid, l’amènera à concevoir les édifices les plus fous, rejetant presque systématiquement les angles droits, jouant de formes organiques et sinueuses ou de diagonales structurées. Elle est de toute évidence l’une des plus grandes architectes contemporaines du monde, dans un milieu essentiellement masculin.

La Fire Station de Zaha Hadid
Cet édifice résolument contemporain étonne par sa forme mais aussi par son usage, qui s’explique néanmoins assez simplement : Vitra a retenu la leçon du grand incendie de 1981 en se montrant pragmatique et efficace. Autant avoir la source nécessaire sur place en cas de pépin !
Tadao Ando pour le Pavillon de conférences (1993)
Là encore Vitra étonne par son avant-gardisme ; sa commande du Pavillon des conférences à Tadao Ando introduit l’architecte japonais en Europe pour la première fois. Si vous avez déjà eu l’occasion de visiter la Bourse de Commerce – Pinault Collection à Paris, c’est à lui que l’on doit également cette enveloppe de béton brut , sorte « d’architecture dans l’architecture », un « cercle dans le cercle ».
La VitraHaus, Jacques Herzog et Pierre de Meuron (2010)
La VitraHaus présente une vue d’ensemble de la collection Home de Vitra. L’ensemble est composé d’une série de formes élémentaires, rappelant celles d’une maison classique (un volume rectangulaire, un toit triangulaire), qui se superposent de manière apparemment désordonnée. On découvre un à un chacun de ces modules, qui révèlent les collections de Vitra.

À l’intérieur, il y a un côté labyrinthique dans cet ensemble (comme chez Ikea, me direz-vous ? Non, en bien plus amusant, bien plus original, avec des escaliers en colimaçon, d’autres droits, des recoins, des terrasses avec vue sur le jardin) qui crée la surprise, donne envie de se faufiler entre les espaces pour découvrir une nouvelle salle, de nouveaux espaces scénographiés, de nouveaux objets. Là où c’est vraiment fort, c’est que c’est davantage perçu comme un espace d’exposition qu’un lieu commercial. Et là, où c’est encore plus fort, c’est qu’en finissant la visite, on a tout bonnement envie de changer tout son intérieur !


Jacques Herzog et Pierre de Meuron pour le Schaudepot (2016)
Parmi leurs réalisations les plus connues, on trouve la fameuse Elbphilarmonie (Hambourg, 2016) et la Tate Modern (Londres, 2000). Ces deux édifices remarquables ont la particularité d’avoir été imaginés à partir d’architectures existantes : une centrale électrique désaffectée datant du XIXe (pour la Tate) et un ancien entrepôt de fèves de cacao construit dans les années 1960 (pour Hambourg). La démarche est vraiment intéressante ; il me semble que la contrainte de l’existant apporte une sacrée difficulté !
J’y vois un matériau de prédilection, la brique, que l’on retrouve dans l’architecture du Schaudepot du campus Vitra.
L’édifice à la forme très élémentaire se prolonge par une sorte de place au parement de brique, matériau apporteur de couleur sur un site essentiellement blanc-gris-noir.

Le Schaudepot à l’extérieur

Dans le Schaudepot, l’exposition Science Fiction montre une multitude d’objets issus du cinéma et des séries télévisées de science-fiction, parfois empruntés à l’architecture, comme ici à droite, avec une maquette de l’Atomium (Bruxelles). Chaque espace du Vitra Campus accueille des expositions, temporaires ou permanentes.
Au Vitra Campus, il y a encore mille choses à découvrir, le pavillon Prouvé, le jardin (Oudolf Garten), vraiment magnifique et qui révèle les architectures. Un peu partout sur le site, on peut se poser sur une Wire Chair, et si l’on vient avec ses enfants, il y a un Kinder Garten avec des toutes petites Panton Chair et les Eames Elephant vraiment trop mignons. Enfin, sachez que le restaurant permet de manger pour pas cher (moins de 30 € à deux) et c’est vraiment bon !

Le jardin d’enfants

La Wire Chair (Eames) que l’on trouve un peu partout dans le jardin pour se reposer (et tester le mobilier….)

Le restaurant
J’espère vous avoir donné envie d’aller visiter ce lieu d’exception, en vous apportant quelques clés de lecture et en partageant avec vous mon enthousiasme. Ce n’est pas la porte à côté, mais le déplacement en vaut la chandelle !