Ci-dessus : Louis Le Gros
La sélection place Thiers (1985-1987)
Huile sur panneau de bois
Coll. Musée de Morlaix
En 1940, la France s’apprête à vivre ses heures les plus noires. Philippe Pétain et son gouvernement entrent dans la collaboration, acceptant l’inacceptable, se lier activement au régime nazi. La France est peu à peu envahie par l’armée allemande, les villes et villages occupés, les habitants parfois chassés de leur maison réquisitionnée. Morlaix n’est pas épargnée. La guerre produit naturellement son lot de collaborateurs et en réaction, de résistants.

La rafle (1985-1987)
Huile sur panneau de bois – Coll. Musée de Morlaix
Ce soir du 24 décembre 1943, la vigilance de l’occupant s’est peut-être relâchée. Alors que les soldats réveillonnent à la Soldatenheim* dans les salons Quiviger (rue de Brest), une grenade est lancée depuis la rue Gambetta et explose au milieu de la salle de réception, faisant 6 blessés. Les représailles ne se font pas attendre. Le 26 décembre, l’armée allemande procède à 500 arrestations d’hommes valides âgés de 15 à 40 ans. Parmi eux, 60 hommes sont désignés au hasard. Ils seront déportés, certains ne reviendront jamais.Si cette commémoration a lieu tous les ans, elle prend plus de sens encore aujourd’hui : « Il est absolument insoutenable de s’en prendre aux populations civiles, et les événements que nous nous apprêtons à commémorer résonnent tristement avec l’actualité nationale et internationale. Les commémorations sont vitales, elles participent à notre devoir commun de mémoire, à une lutte collective contre l’obscurantisme et la barbarie », explique Jean-Paul Vermot, maire de Morlaix.
*Foyer du soldat », était un établissement réservé à la détente des hommes de troupe de la Wehrmacht dans les territoires occupés.
Un projet éducatif porté par le musée de Morlaix
Le Musée de Morlaix a reçu de la famille d’un des otages, Louis Le gros, un fonds de dessins et peintures qu’il a réalisés pour témoigner de son histoire. Le Musée a organisé un projet éducatif autour de ces fonds à l’occasion du 80e anniversaire. Les fonds Le Gros ont une valeur artistique indéniable, mais constituent aussi un témoignage précieux de son arrestation, de celles de ses camarades, de la déportation. Ces oeuvres, des dessins réalisés en captivité et miraculeusement sauvés, ainsi que des peintures réalisées a posteriori — racontent l’arrestation, le rassemblement au camp d’aviation de Ploujean, le voyage éprouvant vers le camp de Compiègne, puis, celui, encore plus dur, vers Weimar à la lisière de laquelle se situe le camp de Buchenwald. Ce projet, emmené par Julien Thomas, chargé de la médiation du musée de Morlaix, vise à amener les collégiens à porter une réflexion sur des événements historiques d’ampleur nationale (la collaboration, la Résistance et ses conséquences, la déportation, l’internement), par le biais d’un événement local (l’attentat de la rue Gambetta, les représailles et arrestations des otages, leur déportation dans les camps de concentration allemands réservés aux opposants politiques). Les élèves arpentent les rues de Morlaix, l’on s’arrête, reproduction d’une oeuvre de Louis Le Gros à l’appui, devant les lieux de mémoire : la rue de Brest, la rue Carnot, l’appartement de la Grand Rue, la place Thiers, (renommée après guerre « place des Otages »), la rampe Saint-Nicolas, etc.
« L’idée était de se rendre sur des lieux que nos élèves associent à des moments heureux et de confronter ces rues, ces places, à des événements sombres d’une histoire qui est commune à tous les Morlaisiens. C’est une manière de s’approprier l’histoire, de la mettre dans un contexte que les élèves connaissent » explique Julia Thatje, professeur-documentaliste au collège du Château.

Parallèlement, les élèves se sont rendus aux archives départementales du Finistère. Chaque élève s’est vu attribuer un nom de déporté pour faire des recherches et reconstituer tous ensemble les événements de 1943 : « Ça les amène a prendre goût à la recherche et à l’histoire, à apprendre aussi à recouper les informations, à constater que parfois, elles ne sont pas les mêmes, à porter une réflexion sur la manière dont est traitée l’information, autrefois comme aujourd’hui. Cette démarche fait dialoguer le présent et le passé », précise Julia.De ce travail pédagogique, mené conjointement par le musée et les enseignants, un film a été réalisé. Ce recueil d’images participe aussi au travail de devoir de mémoire, comme un outil d’archive. Il sera projeté le 26 janvier à la mairie, tous les élèves seront conviés à cet événement.
L’œuvre de Louis Le Gros, le serment de Buchenwald
Quelques jours après la libération du camp, le 19 avril 1945, les 21 000 survivants se réunissent sur la place d’appel et font le Serment que leurs camarades morts en déportation ne seront jamais oubliés. À chacun sa manière de perpétrer le souvenir ; pour Jorge Semprun, c’est « L’Écriture ou la vie », pour Elie Wiesel, « La Nuit », pour d’autres, c’est par la peinture, Boris Taslitzky, Zoran Mušič ou Louis Le Gros.
L’arbre de Goethe
Weimar, cité culturelle, où Goethe et Schiller écrivirent, où Bach et Liszt composèrent, où Gropius fonda le Bauhaus, fut aussi le théâtre d’une barbarie inimaginable : car c’est dans cette ville, sur la colline de l’Ettersberg que le camp de Buchenwald fut érigé en 1937. En son sein, un symbole très fort, un chêne, celui au pied duquel Goethe et Schiller se retrouvaient pour deviser. Les prisonniers en parlaient beaucoup, cet arbre constituait pour nombre d’entre eux, une sorte de symbole de liberté. Ils avaient imaginés que lorsque l’arbre mourrait, le régime nazi disparaîtrait avec lui. Au moment des bombardements américains du 24 août 1944, le chêne s’embrasa. Les détenus s’empressèrent d’en récupérer un morceau, précieux témoignage de ces années de souffrance. Louis Le Gros y sculpta deux bas-reliefs, l’un de la vierge, conservé au musée Patrimoine(s) de l’Ain, l’autre du Christ, récemment donné par la famille au musée de Morlaix. Ces pièces sont extrêmement touchantes et constituent un symbole fort où la liberté retrouvée répond, comme une victoire, au souvenir de la barbarie.
Article rédigé pour le Morlaix Mag . Décembre 2023