Chaumont, capitale du design graphique

Chaumont est une ville de la Région Grand-Est, située à une centaine de kilomètres au nord de Dijon. En somme, entre la Champagne et la Bourgogne. Vous situez ? Souvent, lorsque j’évoque cette ville, on me dit « ah oui, bien sûr, je suis déjà allé(e) au Festival des Jardins ». Erreur ! Ce Chaumont-là, c’est le Chaumont-sur-Loire qui semble avoir pris toute la notoriété… sauf pour ceux qui – comme moi – se passionnent pour le design graphique. Chaumont (en Haute-Marne, donc) n’en est pas moins importante ; elle a su se créer une véritable identité, un moteur d’attractivité : elle est devenue la capitale du design graphique. Et elle aspire à être aussi connue que son homonyme du Val-de-Loire.

Chaumont, 21 000 habitants, capitale du design graphique

L’histoire est palpitante : au tout début du XXe siècle, à la veille de sa mort, le député Gustave Dutailly lègue son exceptionnelle collection de 5 000 affiches à la Ville de Chaumont. Que s’est-il passé entre 1905 et 1990 ? Mystère. En tout cas, la collection n’a pas vraiment fait parler d’elle. Il faut donc attendre la fin du siècle pour voir naître le premier Festival international de l’affiche et du graphisme à Chaumont. La dynamique est lancée. Le festival célèbre le graphisme, avec la mise en place d’un concours international, un concours de la « Sélection française » (qui récompense les meilleures affiches des designers français) et enfin, en 1994, le concours « Étudiants, tous à Chaumont ! ».

Dans la collection d’affiches anciennes du Signe


Au départ, donc, choix est fait de valoriser le design graphique par le prisme de l’affiche. La Ville ouvre un service dédié au design graphique. Sa mission : en conserver les œuvres, les valoriser, mettre en place des événements sur le territoire. Cette importance donnée à la discipline mène petit à petit à un projet de centre dédié. Le Signe ouvre ses portes au public en 2016, à l’initiative de la Ville. Il exposera ensuite d’autres objets dont la qualité repose sur celle de son design graphique : pochettes de disques, éditions, etc.

Exposition Simenon Simenon, présentée cet été au Signe. Elle rassemble une vaste collection de romans de Georges Simenon, dont le soin apporté au design des couvertures est particulièrement intéressant.

Le Signe, centre national du design graphique

Rien que pour l’architecture, le lieu vaut le détour. Les expositions, ateliers et bureaux occupent un bâtiment intéressant, alliant le classicisme de l’ancienne Banque de France à une création architecturale très épurée, aux lignes résolument contemporaines, signées Moatti-Rivière.
Le Signe est un groupement d’intérêt public constitué par la Ville de Chaumont, la Région Grand-Est et l’État. Il vise à encourager la production, à promouvoir la diffusion et à soutenir la création contemporaine dans le champ du design graphique. Tous les deux ans, les passionnés, professionnels ou non, sont invités à se rendre à la biennale qui se tient de juin à octobre.

Le Signe propose aussi une médiation sensible, pensée pour tous les publics, et des ateliers de création, souvent autour de la conception d’affiche, appuyant l’importance de la composition, de la couleur, de la typographie. Dans le hall d’entrée, chaque année un atelier autonome. Tous les outils nécessaires sont mis à disposition des visiteurs : création de cartes postales avec des motifs autocollants hyper colorés, très géométriques, très « pop art », conception de pochettes de vinyls… Professionnels et non initiés s’y croisent, la rencontre entre les deux mondes est bénéfique.

Le design graphique partout dans Chaumont

Design graphique et patrimoine

Là où c’est encore plus intéressant, c’est que la biennale se tient – certes au Signe – mais aussi dans toute la ville. Dans la Chapelle des Jésuites, décors baroque et design graphique contemporain dialoguent avec intelligence. L’exposition Voir la French Touch (été 2025) présente les plus belles pochettes d’album de ce mouvement musical, faisant le lien entre création contemporaine et patrimoine : brillant, porteur de sens, d’une grande force esthétique. Elle amène le visiteur à s’interroger sur l’art, en adoptant un regard transversal, en se posant des questions sur les techniques, en mettant en relation des procédés de création foncièrement différents, mais dont l’objectif universel est commun, celui de « laisser une trace ».

Une typographie pour la com de la Ville

À Chaumont, on assume ses choix jusqu’au bout. Pour la communication de la Ville, pas question de tomber dans de l’institutionnel poussiéreux : la municipalité a créé sa propre typographie pour la représenter, son propre univers graphique, qui fait assurément de ses outils de communication des supports singuliers, forts, riches.

Le long de la façade des halles de Chaumont, une série de supports présente l’identité graphique de la ville.
Un exemple de support de communication de la Ville de Chaumont

Un parcours de fresques en ville

Pour parfaire la démarche, la Ville a voulu que son identité investisse l’espace urbain ; une manière de sensibiliser le public au graphisme. En 2021, elle a lancé un appel à projet pour la création d’un parcours d’art graphique. Directeurs de la culture de la Région Grand-Est, de la municipalité, du Signe, architectes des bâtiments de France (ABF), formant un solide jury, ont porté leur choix sur cinq designers graphiques. Aux quatre coins de la ville, le graphisme s’offre aux visiteurs. C’est beau, coloré, contemporain, créatif, intelligent, car chaque projet est porteur de sens.

Justine Figueiredo – Surface jouable est une œuvre dont la forme puise son inspiration dans l’univers du jeu. Elle habille ici la totalité des façades d’une maison. La fresque valorise l’édifice, invite le promeneur à observer les formes, la palette de couleurs, et donne envie de la considérer au regard du quartier dans lequel elle est implantée. Justine Figueiredo a également conçu un jeu, dérivé de la fresque, que l’on peut découvrir via une application mobile.
Photos : Richard Pelletier
Simon Renaud – Le réel s’écrit sur … imaginée pour la médiathèque de Chaumont, l’œuvre amène le visiteur à s’interroger sur la transformation de l’écriture par les éléments numériques : ici, le code- barre sert de point de départ à la démarche créative. L’artiste créé un motif qui forme une ligne d’écriture, dont les Chaumontais doivent s’emparer en décryptant une phrase cachée. 
Photos : Richard Pelletier
Grégoire Romanet – Multiballe. Pour le gymnase Jean Masson, Grégoire Romanet a mis la population à contribution : autour de la thématique de la « balle », du « ballon », le public a créé ses propres compositions de balles avec de simples papiers colorés. Grégoire Romanet les a re-dessinées et assemblées pour en faire une composition très puissante, qui met en valeur un édifice fortement fréquenté par les habitants de Chaumont. La démarche participative est vraiment intéressante : elle crée un sentiment d’appartenance, elle contribue à faire du graphisme une culture commune et finalement accessible.
Photos : Richard Pelletier
Atelier Baudelaire – Mur d’enceinte de l’hôpital, avenue Carnot. L’œuvre se veut participative, créée à partir de témoignages collectés par les artistes, récits qui racontent la ville, telle qu’elle est vécue et perçue par ses habitants.
Photos : Richard Pelletier

Un pôle de formation supérieure en design graphique

Pour finir, le Lycée Charles de Gaulle de Chaumont propose des formations supérieures : DNMade (Diplôme national des métiers d’art et du design : 3 ans de formation après le bac) « Graphisme, identité et édition », DSaa (Diplôme supérieur d’arts appliqués : 2 ans de formation après un DNMade) « Design graphique et médiation culturelle » ou licence professionnelle « Graphisme, édition et typographie ». Le lycée – dont la réputation sur le plan national n’est plus à faire – accueille également des professionnels reconnus du design graphique pour des workshops avec les étudiants.

Si, comme moi, partir à l’aventure dans l’est de la France, ne vous fait pas peur, n’oubliez pas de passer par Chaumont, capitale du design graphique.

Élus de Bretagne (et d’ailleurs), si cet article vous inspire la création d’un projet-événement autour du design graphique, faites-moi signe : je vous accompagnerai volontiers, en tant qu’assistante à maîtrise d’ouvrage, sur sa mise en place.

Le Vitra Campus : haut-lieu du design et de l’architecture

Le Vitra Campus est un lieu unique qu’il faut absolument aller voir si l’on s’intéresse à l’architecture et au design : ici, les plus grands architectes (Jean Prouvé, Frank Gehry, Tadao Ando, Zaha Hadid…) côtoient les plus grands noms du design d’objet (Charles et Ray Eames, Alvar Aalto, Jasper Morrison, Bouroullec, etc.). Ce mélange de disciplines, cette effervescence de formes et de genres est à voir au moins une fois dans sa vie.

Mais tout d’abord, Vitra, c’est quoi ?

Dans le jargon du design, on peut définir Vitra comme un éditeur. C’est assez comparable à un éditeur de livres, le principe est à peu près le même : il sélectionne ou commande une œuvre (en l’occurrence à un designer), et s’engage à la produire en série et à la distribuer. Il peut aussi racheter les droits d’édition, ce qui l’autorise à produire et vendre un objet.

Les débuts d’un géant du design

Vitra est fondée à Bâle (Suisse) en 1937 par Willi Fehlbaum. Après-guerre, le développement rapide de l’entreprise l’amène à agrandir ses espaces de production. Elle s’installe en 1950 à Weil am Rhein, en Allemagne, à deux pas des frontières entre la Suisse, la France et l’Allemagne.
Trois ans plus tard, lors d’un voyage à New York, Willi Fehlbaum découvre le travail de Ray et Charles Eames. Il est conquis (et déterminé) : en 1957, il obtient une licence de production de la collection d’Hermann Miller, qui inclut bon nombre des mobiliers du couple Eames.

Hermann Miller
Entreprise américaine de mobilier de bureau qui collabore avec de grands designers comme Alvar Aalto ou Ray et Charles Eames. Hermann Miller va produire notamment la fameuse Eames Lounge Chair, dessinée en 1945
(ci-contre).

L’incendie de 1981

1981 marque un véritable tournant dans la vie de l’entreprise. Un incendie ravage le site de Weil am Rhein. Ce drame amène la famille Fehlbaum à repenser le site. L’idée du « Vitra factory campus » émerge petit à petit : toujours lieu de production, mais aussi lieu de partage et d’expositions, l’espace accueillera plusieurs édifices. Le projet est ambitieux. Très ambitieux.

Parallèlement, Vitra obtient en 1988 l’autorisation de produire la totalité de la collection Eames et fait l’acquisition d’une partie non négligeable des archives, prototypes en trois dimensions (les vrais objets !) du couple Eames. On peut d’ailleurs les apercevoir dans le « Schaudepot » :

Le Schaudepot permet d’apercevoir les prototypes de Charles et Ray Eames ; mais juste de les apercevoir. Petite déception : on ne peut déambuler dans ces allées, ce qui explique le reflet sur cette photo, prise depuis l’extérieur de cet espace qu’on ne peut regarder qu’au travers d’une vitre.

Reconstitution du bureau de Charles Eames, (avec les vrais objets du designer) dans le bâtiment du Schaudepot. En allemand, le verbe schauen signifie « regarder ».

Les plus grands noms de l’architecture pour le campus Vitra

Frank Gehry pour le Vitra Design Museum et la seconde halle de production (1989)

On a bien compris que la famille Fehlbaum est ambitieuse et voit grand : elle fait appel à Frank Gehry qui signe un édifice (ouvert en 1989) que l’on reconnaît immédiatement : son style est inimitable. Si vous ne connaissez pas, je vous invite à découvrir ici quelques-unes de ses architectures les plus emblématiques. Quand je regarde ses œuvres, j’imagine une sorte de jeu de boîtes, empilées de manière inattendue, déformées, jamais vraiment régulières, qui paraissent irrationnelles. Gehry casse les codes, il ose. C’est la surprise à chaque découverte.
Ce bâtiment accueille le Vitra Design Museum : centre de recherche, lieu d’expositions. Il imagine également l’architecture de la première halle de production, à priori rectangulaire, à l’exception d’une multitude de petites formes ajoutées sur la périphérie du bâtiment.

Le Vitra Design Museum dessiné par Frank Gehry

Zaha Hadid pour la Fire Station (1993)

En 1993, la Fire Station est opérationnelle. Cette caserne de pompier imaginée par l’architecte Zaha Hadid pour Vitra se constitue d’éléments anguleux en pointes de béton brut. La Fire Station, considérée comme le premier projet d’envergure de Zaha Hadid, l’amènera à concevoir les édifices les plus fous, rejetant presque systématiquement les angles droits, jouant de formes organiques et sinueuses ou de diagonales structurées. Elle est de toute évidence l’une des plus grandes architectes contemporaines du monde, dans un milieu essentiellement masculin.

La Fire Station de Zaha Hadid

Cet édifice résolument contemporain étonne par sa forme mais aussi par son usage, qui s’explique néanmoins assez simplement : Vitra a retenu la leçon du grand incendie de 1981 en se montrant pragmatique et efficace. Autant avoir la source nécessaire sur place en cas de pépin !

Tadao Ando pour le Pavillon de conférences (1993)

Là encore Vitra étonne par son avant-gardisme ; sa commande du Pavillon des conférences à Tadao Ando introduit l’architecte japonais en Europe pour la première fois. Si vous avez déjà eu l’occasion de visiter la Bourse de Commerce – Pinault Collection à Paris, c’est à lui que l’on doit également cette enveloppe de béton brut , sorte « d’architecture dans l’architecture », un « cercle dans le cercle ».

La VitraHaus, Jacques Herzog et Pierre de Meuron (2010)

La VitraHaus présente une vue d’ensemble de la collection Home de Vitra. L’ensemble est composé d’une série de formes élémentaires, rappelant celles d’une maison classique (un volume rectangulaire, un toit triangulaire), qui se superposent de manière apparemment désordonnée. On découvre un à un chacun de ces modules, qui révèlent les collections de Vitra.

À l’intérieur, il y a un côté labyrinthique dans cet ensemble (comme chez Ikea, me direz-vous ? Non, en bien plus amusant, bien plus original, avec des escaliers en colimaçon, d’autres droits, des recoins, des terrasses avec vue sur le jardin) qui crée la surprise, donne envie de se faufiler entre les espaces pour découvrir une nouvelle salle, de nouveaux espaces scénographiés, de nouveaux objets. Là où c’est vraiment fort, c’est que c’est davantage perçu comme un espace d’exposition qu’un lieu commercial. Et là, où c’est encore plus fort, c’est qu’en finissant la visite, on a tout bonnement envie de changer tout son intérieur !

Jacques Herzog et Pierre de Meuron pour le Schaudepot (2016)

Parmi leurs réalisations les plus connues, on trouve la fameuse Elbphilarmonie (Hambourg, 2016) et la Tate Modern (Londres, 2000). Ces deux édifices remarquables ont la particularité d’avoir été imaginés à partir d’architectures existantes : une centrale électrique désaffectée datant du XIXe (pour la Tate) et un ancien entrepôt de fèves de cacao construit dans les années 1960 (pour Hambourg). La démarche est vraiment intéressante ; il me semble que la contrainte de l’existant apporte une sacrée difficulté !
J’y vois un matériau de prédilection, la brique, que l’on retrouve dans l’architecture du Schaudepot du campus Vitra.
L’édifice à la forme très élémentaire se prolonge par une sorte de place au parement de brique, matériau apporteur de couleur sur un site essentiellement blanc-gris-noir.

Le Schaudepot à l’extérieur

Dans le Schaudepot, l’exposition Science Fiction montre une multitude d’objets issus du cinéma et des séries télévisées de science-fiction, parfois empruntés à l’architecture, comme ici à droite, avec une maquette de l’Atomium (Bruxelles). Chaque espace du Vitra Campus accueille des expositions, temporaires ou permanentes.
Au Vitra Campus, il y a encore mille choses à découvrir, le pavillon Prouvé, le jardin (Oudolf Garten), vraiment magnifique et qui révèle les architectures. Un peu partout sur le site, on peut se poser sur une Wire Chair, et si l’on vient avec ses enfants, il y a un Kinder Garten avec des toutes petites Panton Chair et les Eames Elephant vraiment trop mignons. Enfin, sachez que le restaurant permet de manger pour pas cher (moins de 30 € à deux) et c’est vraiment bon !

Le jardin d’enfants

La Wire Chair (Eames) que l’on trouve un peu partout dans le jardin pour se reposer (et tester le mobilier….)

Le restaurant

J’espère vous avoir donné envie d’aller visiter ce lieu d’exception, en vous apportant quelques clés de lecture et en partageant avec vous mon enthousiasme. Ce n’est pas la porte à côté, mais le déplacement en vaut la chandelle !